Chroniques

par bertrand bolognesi

la soirée d'Arabella Steinbacher

Les grands solistes / Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 13 décembre 2008
La violoniste munichoise Arabella Steinbacher en récital à Paris
© dr

Entendue à Paris dans le Concerto Op.61 de Beethoven [lire notre chronique du 3 mars 2004] puis dans l’Opus 53 de Dvořák [lire notre chronique du 9 septembre 2004], la jeune violoniste allemande Arabella Steinbacher se produit ce soir en récital. On notera la cohérence du menu proposé, promenant notre écoute dans le regard des compositeurs vers le passé. Ainsi de Ravel qui intégrait la tradition orale dans sa savante Tzigane, de Prokofiev qui, à sa manière parfois contradictoire, se souvint de Brahms, de Brahms forgeant un fer haydnien et de Poulenc qui rêvait de Mozart.

L’exubérante et fougueuse inflexion sur laquelle s’ouvre l’Allegro con fuoco de la Sonate de Francis Poulenc est idéale pour commencer un concert. Dès la réexposition, Arabella Steinbacher distille une élégance et une fraîcheur toutes personnelles. Volontiers charmante sans abuser de sucreries, la sonorité affirmera, sans phrasé abusivement emphatique, la grande mélodie suivante, avec la complicité de Robert Kulek : piano mouillé, rond, obéissant sagement à l’exécration du rubato maintes fois exprimée par le compositeur. La méditation un rien alanguie de l’Intermezzo central se déploie dans un discret parfum, jusqu’au choral debussyste articulé dans le voile du clavier. D’un goût pourtant assez douteux, le dernier mouvement se fait ici gracieux ; comment les artistes parviennent à faire naître des lettres de noblesse qu’il n’avait pas, c’est un mystère. On applaudit de bon cœur au superbe bris de cristal final.

Le caractère change avec la contemporaine Sonate en ré majeur Op.94bis n°2 deSergeï Prokofiev (les deux œuvres furent conçues dans les mêmes mois d’été de 1942). La clarté intrusive de la mélodie de violon propulse directement le Moderato dans le vif du sujet. Arabella Steinbacher virevolte bientôt au fil de traits moins gentils qui voguent vers la passion, sans se pâmer jamais sur d’abusives mobilités du tactus. Elle libère le son en fin de mouvement, au-delà de la virtuosité, avec une musicalité inouïe. Archet ferme et piano orchestral, implacable régularité des figures obstinées, le Scherzo est adroitement ciselé. À l’inverse, l’Andante est un moment de pure lévitation, puissante élégie lasse à l’équilibre précieux. Cordiale retour au monde, l’Allegro con brio laisse découvrir un nuancier plus varié encore où alternent enthousiasme inquiet et âpre gravité.

L’Allegro alla breve de la Sonate en ré mineur Op.108 n°3 deJohannes Brahms est pris sur un ton de chant sérieux fort à propos, contrastant avec les allures rhapsodiques articulées par le pianiste. Un son plus lourd survient dans l’Adagio, soulignant la mélancolie du passage. La perfection goûtée plus haut fait cependant défaut, quelques soucis de justesse montrant le bout du nez, peut-être signes de fatigue. Pour irréprochable que seront les mouvements suivants, dans une pâte violonistique toujours plus épaisse, l’exécution demeure assez terne. De même n’est-on guère convaincu par la Tzigane de Maurice Ravel, un peu trop sage et souvent raide, sans panache. Aussi garderons-nous plutôt Prokofiev en mémoire.

BB