Chroniques

par françois cavaillès

La sirène
opéra-comique de Daniel-François-Esprit Auber

Théâtre Impérial de Compiègne
- 26 janvier 2018
David Reiland joue La sirène (1844), un opéra-comique signé Auber
© vincent pontet

« Je n'aime que les femmes, les chevaux, les boulevards et le bois de Boulogne », disait Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871). Sa préférence semble bien acquise aux premières lorsqu'en 1844, le compositeur renommé, bien assis pour longtemps au poste de directeur du conservatoire de sa ville de Paris, signe un nouveau grand succès populaire pour l'Opéra-Comique avec La sirène. Proche du vaudeville et du roman de brigandage, l'action se concentre en un huis clos dans une auberge des Abruzzes (sinon aux abords d'un palais ou d'une scène de théâtre), laquelle est prise de secousses par des rebondissements plutôt farceurs, au passage d'une franche ribambelle de personnages typés et lancés, pour faire rire, en quête de grandes élucidations. Contrebandiers, militaires et imprésario se donnent le change à tour de rôle, mais surtout les têtes tournent pour la chanteuse Zerlina, jeune, jolie, ensorceleuse mais encore sage pour bien convenir au public-cible de bonne famille.

En trois actes secs, voici donc, a priori, serti d’un petit bijou de féminité lyrique, un sujet en or pour Les Frivolités Parisiennes [lire notre chronique du 13 avril 2016], compagnie en forme de rampe de lancement pour jeunes chanteurs plutôt chafouins qu’enfants de chœur, gavroches sûrement chapardeurs même en leur nouveau logis sublime de Compiègne – également résidence du soprano Jeanne Crousaud… oui, la créature de rêve de la soirée, c’est elle ! Le délire farfelu n’est pourtant pas de suite au rendez-vous. Le livret de Scribe paraît un peu édulcoré dans l’enchevêtrement rapide de récits, sur un plan très théâtral. Passés l’Ouverture modeste et cette exposition plutôt rigide de faits saugrenus, on prend avecQuand vient l’ombre silencieuse, le premier morceau que donne Dorothée Lorthiois, frais soprano, timide puis vaillante en servante Mathéa, le pouls d’une comédie musicale primaire.

Le décor donne heureusement le ton original de la surprise contenue en cette belle production comme dans une papillote aux effluves moins italiennes que vieille-France, mais encore savoureuses. Nulle forêt, aucun flanc de montagne, mais sur fond noir l’intrigue se joue avec intelligence sur deux étages, en passant devant de grands panneaux aux teintes chaudes et électriques, battant sous un jour presque psychédélique le pas pressé des protagonistes. De la remarquable scénographie de Thibaut Fack [lire nos chroniques du 16 septembre 2016 et du 12 février 2017], la mise en scène de Justine Heynemann tire bien profit, en orientant de bas en haut les hommes, tous perdus par le chant d’une sirène, qui semblent aussi puérils dans leur ferveur aveugle à sa recherche que passionnés à son écoute, au plein cœur du lyrisme qui se révèle par la suite.

En effet, ce n’est qu’à travers le pesant enchevêtrement de manigances lourdaudes, réservant le comique de situation pour le tard, que le grand talent d’Auber se fait enfin jour [lire notre chronique du 14 avril 2016], lorsque l’affaire se corse, à partir d’un duo tendu, puis du doux prélude, drôle et guilleret, du premier air de Zerlina. Il y a là, pour de bon, beaucoup d’esprit et une certaine maestria qui ravit les mélomanes, de manière peut-être plus parodique que vraiment lyrique. L’orchestre des Frivolités Parisiennes relève justement le gant, comme le chef David Reiland [lire nos chroniques du 12 mars 2016, ainsi que des 27 mai, 12 novembre et 8 décembre 2017], au rythme d’un opéra-comique de valeur (intensifié le temps d’un déchaînement rossinien au final de l’Acte II), à l’expressivité parfois dansante et au plaisir partagé d’un petit régal musical. « Auber fait de la petite musique, d’accord ; mais il l’écrit en grand musicien », avançait Rossini…

Les performances vocales donnent toutes satisfaction, en traçant clairement les qualités principales attendues. À Zerlina sied le beau chant évanescent de Jeanne Crousaud. Dans les graves, outre Les Métaboles, chœur bien brassé que dirige par Léo Warynski [lire nos chroniques du 17 mars 2015, du 19 avril 2016, des 10 septembre et 23 novembre 2017], la clarté domine aussi bien chez Jean-Fernand Setti, qui campe un Duc stoïque au verbe fort, que chez Benjamin Mayenobe, acteur d’une fantaisie extraordinaire en tant que Bolbaya, pleutre intendant des théâtres de Naples. Les ténors séduisent dans un registre plutôt romantique, pour Jean-Noël Teyssier (Scipion, amant de Zerlina), voire tendre en ce qui concerne Xavier Flabat, par ailleurs vibrant, nerveux et héroïque en Scopetto, le véritable premier rôle de la soirée, à l’identité triple.

Enfin, autre nom à retenir parmi tant de découvertes artistiques, Madeleine Lhopitallier signe des costumes très réussis de par leur élégance assez moderne, fins dans l’humour et vif dans les différents codes couleurs distinguant chaque personnage.

FC