Chroniques

par david verdier

La clemenza di Tito | La clémence de Titus
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Festival d’Aix-en-Provence / Théâtre de l’Archevêché
- 15 juillet 2011
La clemenza di Tito, opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
© pascal victor | artcomart

Hélas, encore une occasion manquée pour La clémence de Titus ! Dans cette œuvre, les conventions du livret de Mazzola (d'après Corneille et Métastase) et la loi de l'opera seria confinent le drame à l'arrière-plan. Obligés d'enchaîner leurs récitatifs, les personnages constituent un défi pour la mise en scène que, malheureusement, David McVicar ne parvient pas à relever. Sa scénographie n'évite ni les poncifs ni les écueils et il faut bien avouer que la présence de Colin Davis n'arrange rien à l'affaire. À plus de quatre-vingt trois ans, le chef anglais connaît bien son affaire, mais sa vision semble nier la révolution baroque en marche depuis plus de quarante ans. Sa battue ne prend jamais en defaut les instrumentistes du London Symphony Orchestra, et pour cause... Ça sonne grand mais sans subtilité, avec des tempi décidément trop étales pour des oreilles contemporaines. Contrairement à Louis Langrée, entendu la veille dans LaTraviata[lire notre chronique], le chef ne recherche pas à créer l'illusion de la fosse mais pousse les musiciens à donner le meilleur d'eux-mêmes (en oubliant au passage de ménager le plateau vocal). Les timbales cognent sans retenue, la longueur de note et la dynamique générale sont systématiquement hors-cadre, obligeant les chanteurs à puiser dans leurs réserves.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, le travail de McVicar semble passablement bâclé et sans imagination. Les décors sont à l'image de l'accompagnement orchestral: surdimensionnés. La profondeur de la scène aixoise est pourtant utilisée à son maximum, laissant admirer au passage la fontaine baroque de la façade. Latéralement se déplacent un immense escalier aux marches trop hautes ainsi que des murs et des cloisons venant boucher la perspective. Pénible, également, la tension visuelle imposée par l’escouade de nervis qui entourent Titus, prêts à chaque seconde à tirer l'épée hors du fourreau pour le protéger, mais également le maintenir isolé dans sa position de pouvoir face aux autres personnages. Les costumes napoléoniens côtoient les cuirasses antiques dans une parfaite cacophonie de styles. Le tragi-comique de la situation de Titus est amplifié par le manteau pourpre, beaucoup trop long, que le pauvre Gregory Kunde (non content d'avoir dû remplacer John Mark Ainsley à la dernière minute) est obligé de replier péniblement sous les rires du public.

Vocalement, le plateau est fort hétérogène, peu aidé, il est vrai, par une battue de plomb qui contraint les chanteurs à un effort de projection continu. Le Titus de Gregory Kunde est sans charme particulier. La voix a tendance à « tirer » dans les moments de tension. Les aigus le lâchent en route, ce qui est particulièrement dommageable dans les terribles vocalises du Se all'impero (deuxième acte). Carmen Giannattasio compose une Vitellia hystérique et très mobile, tant physiquement que vocalement. Elle jette ses phrases, sans contrôler ses aïgus, comme hors d'elle. Le personnage gagne dans le jeu une crédibilité qu'il perd sur le plan strictement musical. Les redoutables sauts d'octaves de Deh, se piacer mi vuoi sont systématiquement savonnés. Le Sesto de Sarah Connolly est nettement au dessus du lot et rejoint sans peine ce que nous avons pu entendre de mieux récemment. Les vocalises du très attendu Parto, parto méritent certainement une clarinette moins baveuse pour laisser admirer le timbre sfumato et l'agilité du mezzo anglais à passer d'un registre à un autre.

L'autre grande surprise vient d'Anna Stephany, ancienne découverte de l'Académie européenne de musique. Les deux airs d'Annio à l'Acte II sont négociés avec une tension et une assurance confondantes. Avec Amel Brahim-Djelloul (Servilia) elle forme un duo équilibré. Cette dernière, déjà présente à Aix en 2005 dans le même rôle, remplaçait ce soir-là Simona Mihai. La grâce et la limpidité du timbre compensent largement la projection relativement discrète. Un rien évanescente dans sa robe blanche « Madame Récamier»,elle parvient à tirer Servilia de sa modeste importance scénique. En revanche, le Publio de Darren Jeffery peine à convaincre. Terne et engoncée, la voix n'a rien de très intéressant à offrir. Seule, l'esquisse finale du meurtre à venir de Vitellia offre au personnage une épaisseur toute relative.

DV