Chroniques

par cécil ameil

La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante

opéra de Gioachino Rossini
Théâtre royal de La Monnaie, Bruxelles
- 17 octobre 2009
Séastien Forthomme photographie Cenerentola (Rossini) à La Monnaie de Bruxelles
© sébastien forthomme

Modèle d'opéra italien bel canto, Cendrillon ou La bonté triomphante est en fait un drame joyeux (dramma giocoso), c'est-à-dire que sa trame sentimentale et pathétique le conduit à un final heureux, à l'instar du Don Giovanni de Mozart. C'est sans conteste l'un des opéras les plus connus de Rossini, avec le Barbier de Séville et Guillaume Tell. Bien entendu inspiré du conte de Perrault, le librettiste s'en démarque néanmoins à plus d'un titre, en particulier à la fin, où Cendrillon, en guise de vengeance, pardonne à son père et à ses deux sœurs de l'avoir réduite à tant de servilité, comme dans le déroulement de la pièce où le comique de situation (jeu de scènes, apartés au public) et l'inversion des rôles maître-valet (comme dans les Noces de Figaro) donnent tout le sel nécessaire à une mise en scène animée.

Si l'on dit volontiers de la musique qu'elle est éternelle, son interprétation y est pour beaucoup ; mais dans l'opéra, la mise en scène est également capitale. Il est vrai que la partition de Rossini n'est pas ingrate et que la trame de ses opéras puise dans un imaginaire des plus accessibles : ici, l'histoire de Cendrillon, la souillon au cœur d'or élue du prince. La Monnaie, dorénavant sous la direction de Peter de Caluwe, n'étant pas avare de productions peu conventionnelles, celle-ci a été confiée à un Catalan Joan Font qui apporte à l'œuvre son expérience inédite des arts de la rue et son sens du carnaval.

« Cette histoire vient de très loin et de partout,explique Font. C’est un mythe universel. Chacun a pensé un jour qu’il était Cendrillon et que quelqu’un pouvait arriver et changer sa vie. Il faut qu’une porte s’ouvre, que l’extérieur entre pour qu’on sorte de la réalité, de ce quotidien, d’une oppression familiale violente, cynique » (http://blogs.lesoir.be/madness/2008/10/08/conte-de-fee-en-fete/). Cette réalisation a déjà tourné dans le monde depuis plus d'un an, passant par Genève, Houston et Barcelone, suscitant des réactions contrastées, mais toutes reconnaissantes des références aux symboles du conte et à la Commedia dell'arte, très appropriées à cette œuvre.

Dans un décor sobre à deux niveaux séparés par un grand escalier et encadrant une porte-cheminée géante (symbole d'évasion et d'ouverture au monde), les multiples jeux de lumières colorées sur les dalles du sol et des murs figurent les divers lieux et scènes dans lesquels évoluent les chanteurs comme dans des cases de BD. Coiffures, vêtements, autres chiffons et mobilier empruntent à une palette de couleurs tantôt criardes, lorsqu'il s'agit des personnages grotesques de la pièce (le père et ses filles), tantôt sobres, comme dans le cas de Cendrillon (blanche), du précepteur moralisateur (noir) ou du Prince (pastel).

Six danseurs déguisés en souris accompagnent Cendrillon dans tous ses émois et déplacements par un jeu de chorégraphies silencieuses et rythmées. Porteurs de la dimension fantastique du conte, chargés aussi et simplement d'assurer les déplacements des meubles et autres carrosses improvisés au gré de l'histoire, ces museaux et queues en mouvement impriment un dynamisme discret et permanent qui communique à la pièce une vitalité contagieuse. Conjuguées au décor coloré de Font, ils contribuent à une scénographie limpide et confèrent une grande lisibilité à l'histoire enchanteresse.

Du côté de la musique, sous la baguette du chef français Marc Minkowski, l'Orchestre Symphonique de la Monnaie, qui rassemblait pour l'occasion quelques cinquante cordes et vents encadrant un pianoforte, nous a régalés d'une très belle ouverture, à la fois grave et pétillante, dont la précision et le panache ne furent pas démentis tout au long de l'intrigue. On reste confondu par la précision instrumentale de Rossini qui peut nous faire entendre si distinctement violoncelles et basses et laisser tant de place à une simple flûte, à deux clarinettes, à deux bassons ou encore à deux trompettes, en fonction de l'intrigue.

La distribution internationale de jeunes chanteurs n'était pas en reste, ce soir-là : au mezzo espagnol Sylvia Tro Santafé, à la voix chaleureuse et virtuose, se sont joints le ténor mexicain Javier Camarena, dans le rôle du Prince, le baryton belge Lionel Lhote incarnant le valet d'une voix très souple, les basses Donato Di Stefano, le père, et François Lis, superbe dans le rôle ambigu de tuteur du Prince et magicien de l'histoire, et les vraies sœurs Milanesi, Giorgia et Raffaella, qui incarnent celles de l’héroïne.

Plusieurs airs et duettos virtuoses, classiques du répertoire, ont été conduits avec beaucoup de naturel, tandis que les ensembles (Cendrillon et le Prince entourées de la famille infâme, ou bien le repas de gala) furent l’occasion d’apprécier l’homogénéité et la musicalité de cette distribution où chacun occupait une place à part entière, sans jamais donner le sentiment de rôles plus faibles ou mineurs.

« Il est fondamental de rêver, par la beauté, par l’émotion… On s’évade puis on revient à la vie avec une énergie nouvelle », nous dit encore Joan Font. Nul doute que nous avons ressenti cette expérience à plein et sommes sortis enthousiastes du temple musical bruxellois !

CA