Chroniques

par delphine roullier

La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante

opéra de Gioacchino Rossini
ANO / Grand Théâtre, Angers
- 19 juin 2005
La Cenerentola de Rossini au Grand Théâtre d'Angers (ANO), 2005
© vincent jacques

C'est avec La Cenerentola, mélodrame composé en l'espace de vingt-quatre jours par Gioacchino Rossini en 1817, qu'Angers-Nantes-Opéra a choisi de clore sa saison lyrique. Avec cette production lausannoise, le metteur en scène suisse Stephan Grögler transpose le conte dans une atmosphère onirique et grinçante, à l'image d'objets mécaniques dont on tournerait bien la clef pour en activer les rouages, ceux lointains de l'enfance, sous un nouveau jour féerique. Si le livret original écrit par Jacopo Ferretti avait déjà écarté de l'intrigue le soulier de vair et la citrouille de minuit, Grögler propose à son tour de réinventer le conte de Perrault comme une fable plus contemporaine en faisant des trois sœurs une véritable fratrie que la jalousie va peu à peu désunir.

L'atmosphère du plateau reste celle du conte de fée. Le riche et dense décor de Véronique Seymat et de Stephan Grögler lui-même se révèle merveilleuse foire à la brocante. On y découvre de tout et datant de toute époque. Le rideau se lève sur une chambre d'enfant où poupées anciennes, peluches, fer de lit et joujoux jonchent le sol, jusqu'à faire naître une véritable forêt automnale enchantée. Le palais est évoqué par de magnifiques lustres qui forment une constellation de lumière, donnant à la scène les tons scintillants du rêve. Ces espaces, qui réalisent le lieu d'une certaine magie, sont soutenus par l'intervention de figures mythiques puissantes (les sept nains de Blanche-Neige apportant à Angelina sa robe pour le grand jour, ou encore l'apparition des animaux de la forêt, etc.) qui guident l'ensemble vers la dérision nécessaire à revisiter des personnages parfois mièvres dans un schéma caricatural surprenant.

Si la trame repose sur ces artifices, il n'en demeure pas moins que la mécanique même du conte est perturbée. Subsiste sa force dénonciatrice, mais sous d'autres codes. Cendrillon ne revêt pas l'aura de la malheureuse, et l'incarnation des différents personnages, déchus de leur grâce, virant au comique, remet en cause les images primaires de l’enfance. Reste à se demander qui est donc cette héroïne qui si peu fait rêver, quelle est l'essence de celle qu'on croyait fragile et tendre et dont on attendait du destin qu'il lui rendît justice. Si Karine Deshayes (dans le rôle-titre) n’incarne pas le rêve, elle livre une figure de conte qu'elle soutenir avec l'évidence d’un beau chant.

Soulevant la poussière du souvenir, la féerie de l'ensemble ne manque pas d'humour. L'humeur est à la franche rigolade : l'opéra s'avère résolument buffa. Comme au Boulevard, les portes claquent, les pieds frappent le sol, les protagonistes valsent en tout sens, les valets se déroulent en tapis rouge et ne lésinent pas sur une pirouette à faire ou d'autres exploits du même genre. Le rire est donc au rendez-vous.

Avec un médium riche, Michele Govi incarné un Don Magnifico réussi, usant d'une sonorité généreuse pour affirmer un ton goguenard bienvenu. La voix claire du ténor Mark Milhofer (hélas souvent masquée par l'orchestre) négocie en deuxième partie un air d'une grande sincérité. Apprécié dans le répertoire rossinien tout récemment [lire notre chronique du 3 avril 2005], le baryton Franck Leguérinel campe un serviteur fantasque, au chant agréablement enjoué. Dans le rôle d'Alidoro,Marcos Fink seconde merveilleusement Angelina grâce au beau relief de son chant. Quant aux deux sœurs, Clorinda et Tisbe, respectivement Gaëlle Méchaly et Claire Larcher, on apprécie le sens aigu de la joyeuse comédie qu'elles transmettent aisément. Dans cette vive animation scénique, la direction rapide de Sébastien Rouland fait pétiller la partition.

DR