Chroniques

par irma foletti

l’opus 14 au grand complet
Orchestre Révolutionnaire et Romantique, John Eliot Gardiner

Simon Callow, Ashley Riches, Michael Spyres, National Youth Choir of Scotland
Carnegie Hall, New York
- 15 octobre 2018
L'opus 14 de Berlioz par John Eliot Gardiner à Carnegie Hall
© stéphanie berger

John Eliot Gardiner est connaisseur et amateur du répertoire berliozien, qu’il sert admirablement. On se souvient en premier lieu de la formidable série des Troyens au Théâtre du Châtelet en 2003, où le chef dirigeait Susan Graham, Anna Caterina Antonacci, Gregory Kunde, Ludovic Tézier, etc., avec en fosse l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique qu’il a fondé en 1989 [lire nos chroniques du DVD, de Freischütz, Carmen, Pelléas et Mélisande]. Le programme new-yorkais de ce soir se conforme aux volontés du compositeur selon lesquelles Lélio ou Le retour à la vie devrait être joué immédiatement après la Symphonie fantastique, le personnage principal, évoqué dans les deux oeuvres – Berlioz lui-même –, vivant d’abord une descente aux enfers dans la Fantastique et surmontant ensuite son désespoir dans le second opus, lié une nouvelle fois à l’échec amoureux, pour se consacrer finalement à son art. En fait « d’immédiatement après », un entracte se glisse, assez logiquement, entre les deux parties.

La salle est pleine pour accueillir l’ensemble et son chef fondateur, qui paraît posséder Berlioz dans son ADN, tellement les premières mesures évoquent les paisibles et tranquilles Rêveries, bientôt légèrement perturbées dans leur tranquillité par les interventions inquiétantes des contrebasses. Les cordes jouent dans une cohésion parfaite, les bois ont la sonorité plus ronde des instruments d’époque ou historiquement informés, dans cette salle également historique (Carnegie Hall) à l’acoustique beaucoup moins précise que nos constructions les plus récentes. Entre les deux premiers mouvements, les quatre harpes sont apportées sur le devant de la scène et les instrumentistes s’assoient dos au public, refermant ainsi l’orchestre pour placer, en quelque sorte, le chef en son centre. Si l’image est très belle, la petite scénographie déployée casse malheureusement la continuité de l’œuvre – les applaudissements fusent, le public tousse, discute un peu, l’orchestre s’accorde… et bis repetita à la fin du deuxième mouvement lorsqu’il faut évacuer les harpes. Dommage, car Un bal est réellement dansant, au joyeux rythme rebondi, contrastant ensuite avec la mélancolie du cor anglais et de celle du hautbois. Les roulements de timbales annoncent la Marche au supplice, les cuivres se montrent brillants, les bassons, avec sourdines, plus inquiétants. Songe d’une nuit de sabbat, le mouvement final, est d’abord lugubre, avec des cloches (sonorisées) jouées en direct, puis il déclenche les bravi et suscite une standing ovation.

Avant le début de Lélio, en seconde partie, le narrateur est installé dans un fauteuil en avant-scène, plus exactement avachi dans celui-ci, une petite table à ses côtés. C’est en anglais que l’acteur Simon Callow dit le texte, au début très souffreteux et plaintif (« ... the pain, the pain.. »), puis il débute sa partie à bon rythme, et se montrer drôle, en particulier à la fin (« ... but we have an orchestra here ! ») ou, pour conclure, lorsque Berlioz émet des critiques sur la musique de Berlioz. Les parties de ténor sont défendues par Michael Spyres, au style idéal et au français parfait, romantique jusqu’à la coiffure légèrement ébouriffée alla Berlioz. L’aigu est facile dans la Ballade du pêcheur chantée par Horatio, avec certaines notes émises en voix de tête. Plus loin, le Chant de bonheur est un régal, ciselé, délicat, accompagné sereinement par la harpe. L’autre soliste, le baryton-basse Ashley Riches, impressionne moins, dans une diction de qualité seulement correcte. Les artistes du National Youth Choir of Scotland (NYCOS) apportent un fort vent de fraîcheur, techniquement très bien en place, au français presque sans défaut. Ils exécutent instantanément les nuances forte ou piano demandées par le chef. Ces chanteurs, évidemment très jeunes, possèdent déjà un formidable bagage technique qu’ils utilisent avec un enthousiasme démonstratif. Au final, nouvelle standing ovation pour tous les musiciens, et Berlioz est très bien servi... à New-York !

IF