Chroniques

par gilles charlassier

L’opera seria | L’opéra sérieux
opéra de Florian Gassmann

Cirque royal / Théâtre royal de La Monnaie (saison hors les murs), Bruxelles
- 16 février 2016
L’opera seria, opéra de Florian Gassmann, à La Monnaie de Bruxelles
© baus | la monnaie

Entre le report de la réouverture de La Monnaie et les nouvelles contraintes budgétaires, la mauvaise fortune n'a pas épargné Bruxelles, sans pour autant l'abattre. En mettant à l'affiche du Cirque Royal L'opera seria de Florian Gassmann, Peter de Caluwe tire ingénieusement parti de circonstances adverses. Presque deux siècles avant Capriccio, et avec une typologie similaire des rôles des poète, compositeur et directeur de théâtre, le genre lyrique et ses contradictions se fait déjà sujet d'un ouvrage plus ouvertement parodique que l'avatar straussien, et qui se glisse avec délices dans les coulisses croustillants de la production. Pas plus que le remarquablement inventif livret de Calzabigi – connu comme collaborateur de Gluck, autre pont qui se peut faire avec les conversations du salon de la comtesse Madeleine – la musique de Gassmann n'oublie le pastiche virtuose, réjouissante et évocatrice onomastique où l'entrepreneur Faillite côtoie le musicien Soupir, Délire le dramaturge ou la primadonna Détonante – l'Italien Stonatrilla renvoie aux fausses notes (stonare) et interminables trilles.

Si la mise en abyme est presque aussi vieille que le théâtre lui-même, l'intelligente insolence du présent opus lui assure une actualité intemporelle que la conception de Patrick Kinmonth, rehaussée par les lumières d'Andreas Grüter, ne manque pas de faire goûter au public. S'adaptant aux spécificités de la salle, le plateau de bois clair, délimité par des loges de maquillages, rejette en arrière-scène, derrière l'espace dévolu à la fosse, des porches en carton-pâte pour décors en souffrance : avant le troisième acte, où se jouera L'Oranzebe attendu, on est plongé dans l'antichambre du spectacle et ses jeux de pouvoir aussi redoutables que comiques. Qualifiable de recyclage, l'économie qui préside la scénographielibère libère plus qu'elle ne bride la fantaisie de direction d'acteurs, qui va même jusqu'à solliciter certains spectateurs dans l'ébauche d'une cabale pendant les caricatures ornementales de « l'opéra dans l'opéra », redoublant habilement le trouble entre le jeu et la réalité.

Ce plaisir de l'ambiguïté se retrouve dans la facture orchestrale, mêlant, comme dans l'Alcina genevoise d'hier [lire notre chronique de la veille], instrumentarium moderne et d'époque, ici les musiciens de l'Orchestre symphonique de la Monnaie et ceux de B'Rock Orchestra, sous la baguette émérite de René Jacobs [lire notre critique CD Orlando]. D'aucuns pourraient attendre plus de verdeur dans la dynamique impulsée, mais on ne saurait nier la viabilité émulatrice de l'arrangement : un avatar de plus de la solubilité des frontières.

Dans une distribution vocale avant tout soucieuse d'efficacité, Marcos Fink assoie, sans excès, l'autorité de Fallito. Pietro Spagnoli met en valeur ses qualités de diction en Delirio, quand Thomas Walker fait tutoyer le lyrisme à Sospiro. En registre de tête, Mario Zeffiri résume avec gourmandise un castrat Ritornello à la modestie intellectuelle plus évidente que celle de son narcissisme. La rivalité des trois donne s'affirme avec saveur, où se concurrencent la Sonatrilla d'Alex Penda, Robin Johannsen en Smorfiosa et Sunhae Im en Porporina [lire notre chronique du 15 avril 2011]. Nikolaï Borchev ne démérite nullement en Passagallo [lire nos chroniques du 5 juillet 2011 et du 30 juillet 2010], et l’on appréciera aussi le trio des mamme, sorte d'impresarii travestis – Magnus Staveland (Bragherona), Stephen Wallace (Befana) et Rupert Enticknap (Caverna) – ainsi que les ballets réglés par Fernando Melo.

GC