Chroniques

par laurent bergnach

L’ivrogne corrigé
opéra-comique de Christoph Willibald Gluck

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 7 janvier 2011

Une quinzaine d’années avant son premier séjour parisien de 1764, Christoph Willibald Gluck entame sa « période viennoise », sous la protection du prince de Saxe-Hildburghausen qui met à sa disposition un orchestre à demeure et le talent d’artistes venus de toute l’Europe. Politiquement et culturellement, c’est une période d’ouverture à la France ; Gluck est chargé d’adapter un certains nombre d’opéras-comiques à succès, signés Anseaume, Lesage ou Favart. C’est, pour le natif de Bohême, une occasion unique de réfléchir et d’expérimenter, puisqu’il réorchestre tel ouvrage, oriente vers l’opera buffa tel autre, tout en se familiarisant avec la prosodie française. Parmi ses recréations, citons La fausse esclave, L’isle de Merlin, Tircis et Dosithée (1758), Le Diable à quatre, L’arbre enchanté, La Cythère assiégée (1959) jusqu’à cet Ivrogne corrigé qui nous occupe aujourd’hui (créé au Burgtheater, en avril 1760).

Sous-titré Le mariage du diable, le livret de Louis Anseaume et Jean-Baptiste Lourdet de Santerre s’inspire de L’ivrogne et sa femme, une fable de La Fontaine amorcée par ces mots : « Chacun a son défaut où toujours il revient / Honte ni peur n’y remédie ». Le couple originel n’est plus seul désormais, puisqu’il héberge la jeune nièce Colette, amoureuse du beau Cléon et convoitée par Lucas, compagnon de taverne de Mathurin à la trogne rubiconde. Avec l’appui de l’épouse Mathurine, Cléon imagine un stratagème pour permettre aux deux tourtereaux de s’unir tout en donnant une bonne leçon aux deux barbons. Émergeant des brumes alcooliques, ces derniers se retrouvent donc dans une cave transformée en Enfer de carton-pâte et se croient morts. Lucifer/Cléon leur permet de retrouver la vie à une seule condition : jurer de devenir abstinents et accepter le mariage de Colette avec qui elle souhaite.

La Péniche Opéra, la ville de Fontainebleau, l’Arma, le Barokopera Amsterdam et l’Opéra Zuid de Maastricht s’associent pour présenter ce spectacle s’inscrivant dans la tradition de la farce médiévale. Malheureusement, la mise en scène d’Alain Patiès manque singulièrement de rythme et d’humour, à l’instar des vaudevilles – ces chansons populaires utilisées pour confronter un univers conventionnel à un monde burlesque (ici empruntés à Piaf, Starmania ou au rap) – qui tombent à plat. Si le but est d’amener le jeune public visé vers le pire du genre lyrique (opérette en tête), il est atteint, à base d’arte povera, de mains aux fesses et autre nez de clown.

Pour cette unique matinée non réservée aux scolaires, il reste heureusement la tendre musique de Gluck, conduite par la flûtiste Frédérique Chauvet, qui combine dans un relief minimaliste les sons boisés et métalliques d’Alayne Leslie (hautbois), Gijs Laceulle (cor), Thomas Oltheten (basson) et Stéphane Fuget (clavecin), musiciens du Barokopera Amsterdam. Nous retrouvons avec plaisir le solide Paul-Alexandre Dubois (Lucas), en fidèle de La Péniche Opéra [lire notre chronique du 10 février 2007], ainsi que Guillaume Andrieux (Cléon), souple de corps et de gorge [lire notre chronique du 24 novembre 2011]. La mozartienne Estelle Béréau (Colette), Marie-Paule Bonnemason (Mathurine) et Artavazd Sargsyan (Mathurin), aux qualités diverses, complètent cette distribution équilibrée.

LB