Chroniques

par gilles charlassier

L’Italiana in Algeri | L’Italienne à Alger
opéra de Gioachino Rossini

Opéra national de Bordeaux
- 21 janvier 2011
Joan Guillén met en scène L'Italiana in Algeri (Rossini) à Bordeaux
© frédéric desmesures

Les syndicats ont le défaut de n’être pas toujours d’un goût irréprochable. Le lyricomane en fait parfois l’expérience amère. Certains soirs lui est distribué à l’entrée de la salle un imprimé informatif exposant les circonstances particulières de la représentation et leurs motifs prévisibles. Généralement, la vindicte se contente d’une mutilation visuelle à la fortune diverse. Ce vendredi, le passant de la place de la Comédie et le spectateur de L’Italienne à Alger étaient accueillis par une bruyante broussaille de drapeaux sur les marches du Grand Théâtre. Sans doute troublé par les agitations, la baguette du chef égarée imposa un léger délai au spectacle. Insatisfaits de l’impact limité de leur mouvement, les manifestants se vengèrent, peu après l’Ouverture, un quart d’heure durant sur la musique derrière le rideau de scène. Mais les artistes de la soirée, en costumes dans un décor unique, ont largement sauvé cette première du naufrage dont elle était menacée.

Le travail de Joan Font ne sort pas indemne de l’immobilité qui gangrène les décors de Joan Guillén. L’absence d’accessoires qui situent l’intrigue dans un cadre maritime fantaisiste se fait parfois sentir à l’instar des transats sur lesquels les femmes font mine de s’allonger au début du second acte, ou encore la livrée de table de la scène du Papatacci. Rendu minimaliste par ce statisme imprévu, le dispositif scénique, mêlé à la vivacité de la direction d’acteurs, fidèlement réalisée par les chanteurs, et aux rayures pastel des costumes, apparaît de manière inopinée comme une parodie du système wilsonien. Les procédés comiques attendus prennent le tour d’un gag non dénué de saveur. Les pavillons rouge et noir n’ont pas eu raison de l’humeur rossinienne

Il faut reconnaître que la musique est servie avec un soin digne d’éloges. La distribution réunie assure que les modes ne réduisent pas le bel canto à un vain mot, même dans les opere buffe du maître de Pesaro. Alors que le rôle-titre est trop souvent confié à des valeurs douteuses, Daniela Mack rappelle l’évidence que le brillant et l’agilité du mezzo colorature rossinien doivent rester naturels. On ne niera pas l’importance d’un timbre corsé, et l’Américaine n’en manque pas. Mais elle montre combien la clarté de l’émission, qui seule garantit valablement celle de la prononciation, ne peut être sacrifiée sur l’autel de la coloration de la voix, que l’on accepte trop souvent artificiellement alourdie – ce qui, en outre, conduit parfois à une dégradation prématurée de l’instrument. Les trilles et les ornementations ne demandent point de torturer la bouche à en donner le mal de mer au spectateur. Dès son entrée sur scène, la brune étasunienne est aussi agréable à regarder qu’à entendre. La composition dramatique est jubilatoire, sans affectations burlesques excessives, et tire parti des avanies de la soirée. Nous ne doutons pas que le mezzo, à l’orée d’une carrière que nous lui souhaitons à la mesure de son talent, saura effacer la gaze résiduelle de tension perceptible çà et là pour donner à sa virtuosité la pleine mesure de son juste naturel.

L’Italienne n’est pas la seule à choyer nos oreilles ce soir. On retiendra, par ordre de mérite décroissant, le Taddeo de Riccardo Novaro. Affublé de coupes britanniques, de lunettes rondes et de couleurs éclatantes, l’oncle d’Isabella est un gentleman trop assuré de lui-même pour n’être jamais déçu. Le baryton italien fait preuve d’une exemplaire maîtrise de la partition et du style rossiniens. L’intention burlesque ne prend jamais le pas sur les exigences vocales et laisse à la ligne, d’une fermeté idoine, le soin de porter la vis comica. Alek Shrader incarne un Lindoro bien caractérisé. La tessiture légère du ténor américain correspond aux attendus du rôle. Le timbre resplendit de lumière fraîche et citronnée. Seul l’aspect un peu corseté du chant amoindrit parfois l’impact de cette voix jeune.

La défroque de Mustafa est endossée par Luciano di Pasquale. La basse italienne ne manque pas d’agilité et de saveur. L’intonation paraît cependant un peu abaissée et donne au personnage une allure pataude – qui n’est certes pas une trahison de la composition dramatique. Les deux Ottomanes se montrent fort satisfaisantes : Mélody Louledjan, Elvira volubile à l’hystérie légère, et Claire Larcher, Zulma de caractère. Nahuel di Pierro chante un Haly honnête, quoiqu’il n’évite pas quelques maladresses.

Paolo Olmi, remis de ses émotions à la sortie des coulisses, conduit l’ouvrage avec un sens aigu de la mise en place et de la clarté des textures sonores. Il laisse s’épanouir la sapidité des bois de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine tout en encourageant la rondeur des cordes, avec un sens de l’équilibre en phase avec les dimensions du Grand Théâtre, idéale pour ce répertoire. Le Chœur local, placé sous la houlette d’Alexander Martin, participe à la réussite d’une production qui met en valeur l’orfèvrerie vocale de l’écriture rossinienne.

GC