Chroniques

par laurent bergnach

L’Instant Donné
œuvres de Gervasoni et Pattar

Corum, Montpellier
- 12 janvier 2013
L’Instant Donné joue Gervasoni et Pattar
© dr

Comme en fin d’hiver dernier – en compagnie de Carter, Dusapin, Fedele, Romitelli ou encore Xenakis, pour ne citer qu’une partie des créateurs à l’honneur [lire nos chroniques des 10 et 11 mars 2012] –, le mini-festival Figures du siècle propose un nouveau mélange de ces esthétiques variées qui façonnèrent le XXe siècle et métissent le XXIe. Ainsi, la journée de demain permettra d’entendre, en fin de matinée et sous les doigts de quatre musiciennes de l’Orchestre national de Montpellier, Trio pour violon, violoncelle et piano (1998), Cloud (2010), Fratres (1977) et Visions of inner time (1976) – respectivement composés par Hersant, Saariaho, Pärt et Segerstam –, tandis que l’Ensemble Intercontemporain fera entendre un programme joué ce soir même à Paris, invitant Barden, Rihm et Widmann [lire notre chronique du jour].

Attaché à la musique de chambre contemporaine depuis sa création en 2002, L’Instant Donné est un ensemble qui privilégie le jeu sans direction et la collaboration étroite avec des compositeurs tels que Pesson et Schöllhorn [lire notre chronique du 21 septembre 2006], mais aussi Frédéric Pattar et Stefano Gervasoni [photo], joués cet après-midi. En 2009, ce dernier répond à une commande des Meneghetti avec Prato prima presente, pour vents (flûte, hautbois, clarinette), cordes (violon, alto, violoncelle), piano et percussions. À travers cette pièce d’une vingtaine de minutes, l’Italien qui aime écrire pour ensemble [lire notre critique du CD] illustre ses réflexions sur le temps, et notamment la question délicate de l’héritage et de la tradition puisque, d’un côté, « L’oubli de l’histoire autorise le saccage du présent à des fins individuelles », et d’un autre « Le passé ne doit pas exister, l’histoire doit être réécrite chaque jour […] ». Dans la partie centrale de l’œuvre, notamment, vents et cordes dialoguent, avec une tendance à se couper la parole et à laisser mourir souvent leur babillage dans de fréquents silences. Ces derniers permettent alors d’entendre l’aigu des cymbalettes ou le sifflement moelleux d’une plaque de métal rayée d’un long trait continu.

Imprégné du matérialisme de Bachelard et lié aux écrivains, Frédéric Pattar (né en 1969) incarne une génération qui n’a aucun tabou à rechercher des sonorités nouvelles dans un certain exotisme – de même que Pécou lorsqu’il s’intéresse au Grand Nord canadien [lire notre chronique du 8 décembre 2006] ou au Maghreb [lire notre chronique du 11 janvier 2008]. Ainsi, après une introduction assez conséquente du violon solo qui souffle, siffle et gémit, Outlyer (2007) fait entendre les martellements amérindiens d’un zarb iranien, les vibrations typiquement seventies d’un piano électrique Rhodes ou encore les échos d’une flûte sul palco (hors scène) qui oscille entre shakuhachi et ocarina. La pièce en tension constante laisse place à Snowdrift (2012) qui nous intéresse moins par sa chair que par son ossature : autour du soprano Marion Tassou qui livre d’un joli timbre le texte plurilingue d’Oya Erdoğan, on trouve en effet une harpe frappée avec une mailloche, un cor-tuyau en plastique, des violon et alto joués de manière assez inédite, etc.

En soirée, c’est un directeur « ébloui et ému » qui annonce l’arrivée sur scène des Percussions de Strasbourg, ensemble désormais cinquantenaire [lire notre critique du CD]. Encadrées par First construction in Metal (1939-41) de Cage, avec son piano aux cordes grattées, Sextuor de sixxens (1989) signé Manoury, vif comme une volée de cloches, et Obsisens (2012) d’Andy Emler qui clôt le programme – une pièce virtuose, assez colorée malgré un instrumentarium réduit, malheureusement bissée... –, deux œuvres « méditatives » retiennent notre attention. Fishbones (2006-07) d’Ondřej Adámek, tout d’abord, avec son eau omniprésente qui rencontre bois martelé, cloches à vaches ou simples pailles. De même que l’évolution du poisson, tout semble avancer par étapes spécifiques, tantôt délicates et nuancées, tantôt déchainées (timbales forte). Suit Haikus del mar, écrit par José Manuel López López en 1997 mais créé ce jour, qui offre des scintillements impressionnistes (triangles, chimes, gong joué à l’archet) et des sons plus rêches empruntant leur granulosité aux bâtons de pluie, maracas et autres « boites à sable ».

LB