Chroniques

par bertrand bolognesi

l’âme russe, un voyage musical d‘hiver

Salle Molière, Lyon
- 23 et 25 janvier 2004
la datcha du compositeur Piotr Tchaïkovski à Klin
© dr | maison de tchaïkovski, klin

En cinq concerts, c’est la musique de chambre de quatre des plus célèbres compositeurs russes que le Voyage Musical d’Hiver permet d’entendre de façon concentrée. La manifestation s’ouvre vendredi soir avec la Sonate pour violon et piano en fa mineur Op.80 n°1 de Prokofiev, sans doute la plus jouées. David Grimal présente une sonorité équilibrée. Dans le premier mouvement, le son est ténu, développe une vocalise immuable, sur un fil, avec une égalité surprenante, pour se libérer dans le deuxième, dans un lyrisme brillant, avec des attaques violentes mais jamais brutales. Les pizz’ sont réalisés dans un beau gras. La mélodie finale est donnée dans un climat désolé. Au piano, Roger Muraro convoque toutes les couleurs de l’instrument. Rejoint par Anne Gastinel, marraine du festival, ils donnent tous deux la Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur Op.40 de Chostakovitch dans une interprétation fort sensible. La phrase du violoncelle est toujours précise, bien menée, dans une articulation claire. Cependant, si le détail est irréprochable, il manque du souffle à l’ensemble. Le Sextuor Op.70 « Souvenir de Florence » écrit par Tchaïkovski en 1890 ne bénéficie pas d’une lecture cohérente, les artistes ne lui donnant guère corps.

Le lendemain après-midi, nous prenons beaucoup de plaisir au récital de mélodies russes qui fera l’objet d’un compte-rendu mis en exergue [lire notre chronique du 24 janvier 2004]. Il s’achève par une belle version du Trio pour piano et cordes en mi mineur Op.67 n°2 de Chostakovitch. L’Andante/Moderato magnifie les qualités évidentes du violoncelliste Edouard Sapez-Triomphe. Le tout début de cette page est particulièrement difficile, déclinant une prière sur des harmoniques comme un funambule qui lentement danse sur son fil. Sans épanchement excessif, un lyrisme bienvenu conduit l’Andante. L’Allegro con brio fait briller le violon de Giovanni Radivo, avantagé par une sonorité sensuelle autant qu’expressive. Bruno Robilliard offre une introduction ronde et musclée au troisième mouvement, Largo lancinant. Enfin, une énigmatique inertie mâtine la danse finale d’accents aigres-doux assez d’à-propos. Contrairement à l’ensemble de la veille, ce trio convainc.

N’ayant pu assister au concert de samedi soir, passons directement à ceux de dimanche. Tout d’abord celui, copieux, de 16h, qui commençait avec le Trio en ré mineur Op.9 n°2 de Rachmaninov. Robilliard s’avère plutôt discret dans le premier mouvement, voire trop effacé, tendance constatée dans ses accompagnements des deux chanteuses, la veille. Nous retrouvons le violoniste et le violoncelliste du Trio de Chostakovitch, avec le même bonheur. La lecture ne se montre jamais complaisante, ne cède jamais à un sentimentalisme trop appuyé. La chair des pizz’ du violoncelle apporte une profondeur suffisante à soutenir un discours lyrique sans avoir nullement recours à des artifices. Le pianiste se réveille dans le deuxième mouvement, desservi par un instrument relativement capricieux : le piano de dérègle peu à peu, accusant des graves disgracieux et un accord mouvant. Les trois artistes livrent un dernier épisode fidèle tant à la lettre qu’à l’esprit.

Dans la Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur Op.119 de Prokofiev, Muraro se distingue une nouvelle fois par les couleurs, mais son jeu demeure globalement trop brutal. En revanche, l’interprétation d’Anne Gastinel emporte les suffrages. Jouissant d’une belle expressivité dans le premier mouvement, d’une agilité nerveuse et d’un chant large dans le Moderato médian, et d’un parfait équilibre dans l’Allegro ultime, elle domine un beau moment de musique. Enfin, le plus célèbre quatuor de Chostakovitch, en ut mineur Op.110 n°8,est joué par le Quatuor Debussy. Faut-il vraiment ajouter quoi que ce soit au Largo initial, suffisamment pathétique en soi ?... Heureusement, cet excès se régule par la suite vers une interprétation plus sobre et, du coup, pertinente. Cependant, un souci d’équilibre point : Vincent Deprecq (violoncelle) s’accorde assez difficilement à l’ensemble, tandis que l’altiste Vincent Deprecq tire souvent la vedette.

Le concert de clôture (dimanche, 19h) débute par l’Ouverture sur des thèmes juifs Op.34 écrite par Prokofiev en 1919 pour l’ensemble Zimro. François Sauzeau à la clarinette, Bruno Robilliard au piano et le Quatuor Debussy en donnent une lecture nuancée, rendue possible par une écoute attentive. L’interprétation du Quatuor en mi bémol majeur Op.117 n°9 de Chostakovitch pas le Debussy révèle un superbe travail de demi-teinte, nourrissant subtilement le suspense d’une page mystérieuse. La Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur Op.19 de Rachmaninov est moins heureusement réalisée : Gastinel n’y est pas toujours juste, tandis que Muraro se perd dans une lourdeur malvenue ; de plus, son pied qui bruyamment appuie la mesure sur l’estrade maltraite l’écoute, affligeant le public attendant de la musique sa fonction élévatrice une contingence technique qui définitivement le rive à l’ici-bas. La fameuse Valse de la Jazz Suite (Chostakovitch) séduit, grâce à l’interprétation d’une suavité délicieuse du Quatuor Heavy Fingers. Tous les artistes ayant participé à ce week-end russe saluent tandis les saxophonistes reprennent la Valse comme une nostalgique et souriante réminiscence.

BB