Chroniques

par françois cavaillès

Léa Desandre, Thomas Dunford et l’ensemble Jupiter
Vivaldi ouvre le festival

Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 18 septembre 2020
Léa Desandre chante Vivaldi en ouverture du Festival d'Ambronay 2020
© bertrand pichène

Une pincée de luth sur l’étoffe froissée des cordes et, d’une voix tout en douceur résonne comme un manifeste, si clair en chaque amateur de musique baroque, Vedro con mio diletto (Je verrai, pour mon plaisir). L’attitude paraît garantie pour la soirée d’ouverture du quarante-et-unième Festival d’Ambronay. Certes réduit de toutes parts par les restrictions administratives, le grand rendez-vous de l’été indien en Bresse, dressé sur trois fins de semaine, est encore debout, le cœur battant ! Le public en savoure les premiers pas un instant après l’autre, à partir de l’accord initial donné par Thomas Dunford, vite rejoint par son jeune ensemble Jupiter, incluant en dernier le mezzo-soprano Léa Desandre.

C’est l’espoir de vaincre et de retrouver son amour à l’opéra (Il Giustino, 1724) qui s’affirme d’abord, à l’évidence du bonheur optimal de se trouver réunis pour partager d’entrée, dans le plaisir serein de tenir la note chantée, suivie d’un accompagnement lent, velouté et créant finalement bel ombrage. Les vocalises semblent murmurées avant d’évoquer, d’une ferveur piquante, les temps difficiles. La vie vaut le coup, en retrouvant l’art lyrique dans tout l’entrain de l’air de furie Armatae face et anguibus. Cris de sorcière, violons électriques et toujours aussi nets, Morte, flagello, stragibus (La mort, le fouet, le carnage) – une sauvage vengeance défile comme un train fantôme. Ainsi la scène extraite du Juditha triumphans (1716) ne manque-t-elle pas de style, quand bien même la conviction de l’esclave Vagaus sera vaine au final.

Un concerto de Vivaldi est une merveille, pour preuve le Concerto pour luth en ré majeur RV 93. Les effets en sont revigorants, dans l’Allegro initial en croisière entre violon acidulé, loyal clavecin et luth délicat, puis mélancoliques, dans l’étourdissant Largo en forme d’adieu conclu en souvenir heureux, enfin bienveillants dans l’Allegro final, presque dansant. À chaque saison, il semble que le doigté de Thomas Dunford et sa vaste science solistique rendent toute partition intéressante. Quel nouvel air s’annonce, comme les fleuves de l’Hadès ! L’impression de puissance ténébreuse, nourrie par une belle cadence, et les expirations stridentes des cordes fondent un climat extrêmement funèbre, assombri encore par le violoncelle et la contrebasse. Et pourtant ! Plongé dans telle désolation, il est toutefois permis de se délasser, voire de se rassurer, grâce au chant de Léa Desandre. D’une régularité admirable, l’émission participe d’un alliage grandiose à travers Cum dederit extrait de Nisi Dominus RV 308. N’est-ce pas une cantatrice excellente dans le baroque, celle qui tient si bien à l’impossible en transformant une phrase de latin saugrenue en exclamation aussi vivante ?

Dans la sublime invitation lyrique Veni, veni me sequere fida, tirée de Juditha triumphans, la voix trouve juste écho avec les arabesques du violon, ravissant, assumé par Sophie Gent. D’un chant plus appuyé, mais encore orné de vocalises délicieuses, le poème musical s’offre comme un trésor du genre aux surprenantes teintes graves dont Vivaldi a le secret. Pour le paradis, l’ultime vers est lancé avec splendeur, alors que le dernier ornement du violon solo s’avère simplement somptueux.

Au sommet de son art pour le bouleversant Gelido in ogni vena (Farnace, 1727), le mezzo se fait guérisseur et ardemment projeté, dès la percée à travers l’épaisse brume magnétique – l’avis de tempête par Jupiter ! Avec succès, les musiciens se mettent en quête poétique afin d’instaurer le climat de la confession du roi du Pont, quand ornements et souverain legato connotent de désastre intérieur la déchéance du monarque.

Après avoir si bien régulé le sang glacé de Farnace – et peut-être celui de l’abbé Jacques de Mauvoisin, le gisant voisin de la scène –, le violoncelle entraîne vers plus de délices encore. Le plaisir concertant consiste à bondir de l’exceptionnel Largo et de son estimable solo joué par Cyril Poulet à l’Allegro libérateur au terme du Concerto pour violoncelle en si mineur RV 424. La bride est lâchée au courroux festif d’Agitata da due venti (Griselda, 1735) qui referme ce moment dans un généreux esprit carnavalesque. Pour la route, en quittant Venise, Dunford donne en bis une composition originale intitulée That’s so you, surprenante fusion entre pop folk et baroque, tout en dédiant une pensée au co-auteur et contrebassiste Douglas Balliett retenu aux Etats-Unis. « Toutes les grandeurs de ce monde ne valent pas un bon ami », écrivait Voltaire.

FC