Chroniques

par vincent guillemin

Konzerthausorchester Berlin, Iván Fischer
Dean Smith, Fischer, Maguerre, Mantashyan, Westbroek et Znaider

Konzerthaus, Berlin
- 13 juin 2014
Iván Fischer dirige un gala Richard Strauss à la Konzerthaus de Berlin
© dr

Outre les célèbres Berliner Philharmoniker, la capitale allemande compte trois autres orchestres symphoniques de haut niveau qui méritent l’attention : le Deutsches Symphonie-Orchester (dirigé par Tugan Sokhiev), le Rundfunk Sinfonieorchester (dirigé par Marek Janowski) et le Konzerthausorchester, tenu par Iván Fischer, aux concerts duquel nous assistons régulièrement [lire nos chroniques du 15 juin 2013 et du 19 avril 2014]. Cette fois, c’est un Gala Richard Strauss qui fait le programme de la soirée, avec pour commencer des œuvres de ses précurseurs Weber et Mendelssohn, avant la Schlußszene (dernière scène) d’Ariadne auf Naxos.

L’exécution de l’Ouverture du Freischütz de Carl Maria von Weber est étonnamment contrôlée par le chef qui ne laisse jamais son Konzerthausorchester s’épanouir complètement ; cet excès de maîtrise entrave la magie de certaines phrases mélodiques. Mettant en valeur chaque partie et chaque note, la construction orchestrale fait parfois penser à l’approche d’un Rudolf Kempe, et se retrouve également dans la netteté du phrasé et la gestion des silences. Très lent, le tempo conviendrait mieux si l’orchestre jouait un peu moins fort et si certains pupitres jouaient plus juste.

L’interprétation du Concerto en mi mineur Op.64 n°2 de Felix Mendelssohn est d’une autre tenue. D’abord parce que l’effectif instrumental est réduit, ce qui sert l’œuvre mais avantage également l’acoustique de la salle, idéale pour les formations classiques. Ensuite parce que le violoniste Nikolaj Znaider y est superbement à son aise tant par l’agilité technique (quelle belle première cadence !) que par le message qu’il fait passer. La direction mène l’œuvre vers des sonorités proches d’Ein Sommernachtstraum du même compositeur, et développe un flux continu qui ne s’interrompt pas entre les trois mouvements. L’ample Allegro molto appassionato se fait léger et très fluide, l’épisode lent est plus nostalgique, tandis que le troisième gagne en poids et en célérité. L’orchestre a réglé la justesse et assure un accompagnement efficace, particulièrement lorsque les bois sont mis en avant. En bis, une Sarabande de Bach (sans doute dans un arrangement de Fritz Kreisler) permet de vérifier les qualités techniques du soliste qui emporte l’adhésion du public.

Après l’entracte, le Konzerthausorchester Berlin perd en taille, avec à peine quarante musiciens en scène. Mais à l’opposé de ce que nous pourrions en attendre, la proposition musicale de la fin de l’opéra de Strauss n’en est pas pour autant chambriste : elle est clairement orientée vers les sonorités de son contemporain Gustav Mahler, pour lequel on connait l’attirance d’Iván Fischer. Les solistes gagnent encore en précision et en clarté : saluons les harpes, le piano, le célesta et surtout l’harmonium.

Eva-Maria Westbroek a déjà intégralement chanté les rôles de la Primadonna et d’Ariadne. Ce soir, elle livre une interprétation d’une égale justesse à celle de l’été dernier à Munich. La voix semble un peu trop épaisse pour le rôle et manque peut-être de cristal, mais la ligne de chant est impeccable. Robert Dean Smith tient en force le rôle de Bacchus, cherchant au delà de ses réserves les aigus les plus complexes, avec cette technique qui en fait l’un des grands wagnériens actuels. De la Dryade ou de la Naïade toutes deux entendues en Rheintöchter dans le Rheingold monégasque [lire notre chronique du 24 novembre 2013], nous dirons encore que si Eleonore Maguerre possède belle voix et bonne technique (elle chante aussi la dernière phrase attribuée à Zerbinetta), elle est dépassée par Stine Marie Fischer, superbe alto [lire notre chronique du 27 janvier 2013] dont il faudra suivre la carrière. Echo est également bien interprété par le soprano Ruzan Mantashyan.

Espérons entendre Iván Fischer dans une fosse d’opéra avec un plateau de même niveau, pour porter l’œuvre intégrale du compositeur dont on fête ce mois-ci le cent-cinquantenaire de la naissance.

VG