Chroniques

par bertrand bolognesi

Jonathan Nott dirige l’Orchestre de Paris
Leif Ove Andsnes joue le Concerto d’Edvard Grieg

Théâtre Mogador, Paris
- 6 février 2004
le chef Jonathan Nott photographié par R. Naughton
© r.naughton

Programme alléchant proposé par l’Orchestre de Paris, puisqu’il regroupait des œuvres de Stravinsky, Schönberg, Grieg et Schumann, et accueille le pianiste norvégien Leif Ove Andsnes. La soirée s’ouvre avec l’ouverture Manfred Op.115 composée par Robert Schumann en 1848 et créée quatre ans plus tard à Weimar. D’un romantisme exacerbé, s’inspirant du Manfred de Byron, l’œuvre flirte avec le surnaturel, dans un grand déploiement d’énergie. Ce type d’écriture demande une interprétation minutieuse, qui dose les effets et entretienne la sonorité en dépit de tentantes possibilités de contrastes. La lecture qu’en propose Jonathan Nott tombe dans le piège, brillant avant tout par sa lourdeur et son inefficacité manifeste. Pas de véritable travail de pupitres, mais de fréquents décalages des cordes dus à une battue impressionnante mais guère lisible, quelques attaques malheureuses des vents, bref : un beau ratage qui se braille à tue-tête. S’y reconnaît la tendance du chef britannique à manier un enthousiasme somme toute grossier.

Après ce début en fanfare, Leif Ove Andsnes fait son entrée. Il se lance dans les fameux accords d’ouverture du Concerto en la mineur Op.16 d’Edvard Grieg. Ultra célèbre, cette page ne jouit pas d’une forme flatteuse, mais parvient, malgré sa structure relativement imprécise, à happer l’auditeur dans une sorte de tempête où le soliste ne dialogue pas vraiment avec l’orchestre. Celui de ce soir est de plus en plus présent sur la scène musicale internationale. On peut l’entendre régulièrement, précisément dans ce répertoire qui n’a aucun secret pour lui. Ainsi donne-t-il souvent quelques unes des Pièces Lyriques (Grieg) dans ses récital – il en enregistra une bonne partie sur le piano même du compositeur ; de même a-t-il gravé, à vingt ans à peine, le concerto dont il vient de faire paraître une nouvelle version. Rappelons le fort beau travail de nuances, de différenciation des frappes, dans une délicatesse incomparable, qu’il construit depuis toujours.

On en est d’autant plus déçu : la lecture de Nott fait cavalier seul, le chef prenant son plaisir avec l’orchestre sans même écouter le soliste. Encore faudrait-il se soucier de la cohérence métrique, sans parler de l’équilibre instrumental ! Nott se gargarise de grands effets tonitruants qui écrasent la proposition d’Andsnes. Même les « récitatifs »du piano sont perturbés par ses interventions. La cadence solo du premier mouvement laisse enfin goûter l’articulation exemplaire et l’expressivité du pianiste, par ailleurs condamné à frapper le clavier comme un forgeron son enclume pour tâcher de se faire entendre dans le vacarme orchestral. Et lorsque le piano achève une phrase dans une sonorité tendre, et que l’on a besoin d’une respiration avant que l’orchestre enchaîne l’amorce du prochain développement, le chef débute sans somation ni vergogne, brisant complètement la musicalité du jeu du soliste. De l’épisode médian, on peut cependant apprécier la sorte de sauvagerie dont s’avère capable Leif Ove Andsnes, malheureusement desservi par un Steinway aux graves disgracieux – décidément, le musicien ne se produit pas dans les conditions idéales… On s’en doute : l’Allegro moderato e marcato final reste la proie d’une infantile compulsion de brio, frustrant. Lorsqu’Andsnes remercie le public d’une Romance de Schumann, l’on mesure tout ce que perdit le concerto.

Étrangement, les Variations Op.31 d’Arnold Schönberg bénéficient d’une interprétation plus précise et mieux pensée. Les échanges entre pupitres sont honorablement réalisés, le climat général s’affirme dès les premières mesures et les instrumentistes semblent plus à leur aise. Malgré toutes ces qualités, la marque de fabrique de Nott pourrait bien être l’éternelle ostentation qui sonne « plus Schönberg que Schönberg », de même que l’artifice de Disney Land paraît plus vrai que nature… de très loin. Peut-être faut-il parler d’une interprétation « publicitaire » ? C’est avec Jeu de cartes d’Igor Stravinsky que les musiciens de l’Orchestre de Paris prennent congé, dans une exécution sans esprit qui appuie disgracieusement les clins d’œil de la partition. Certes, ce ballet n’est pas impérissable…

BB