Chroniques

par françois cavaillès

Joël Suhubiette joue le Requiem de Mozart
Corinne Bahuaud, Morgane Bertrand, Jean-Loup Pagésy et Hoël Troadec

Archipels, Chœur de l’Académie lyrique d’Occitanie, Orchestre Opéra Éclaté
Festival de Saint-Céré / Château de Castelnau-Bretenoux
- 7 août 2019
Joël Suhubiette joue le Requiem de Mozart
© marc serrano

Sur une hauteur au-dessus de la vallée de la Dordogne, le soir est à la récollection pour le Requiem en ré mineur K.626 de Mozart au trente-neuvième Festival de Saint-Céré. Entouré de magnifiques lumières naturelles, le château-fort de Castelnau-Bretenoux est à nouveau le siège de l’Orchestre Opéra Éclaté. Dès l’attaque savoureuse des cordes, au goût d’évidence, puis la superbe entrée du premier basson (Introït faramineux), l’ensemble opératique itinérant fonde l’unité musicale, précieuse et fragile comme le tintement du glas, du Requiem des plus connus, œuvre pourtant inachevée et inégale, vouée à porter ultimement la signature de Mozart.

Dernière trace de vie du compositeur, à même de remplir d’espoir les mélomanes inconsolables, depuis la création au tout début 1793 à Vienne où la mort a frappé un an plus tôt, le Requiem ravive vite les instruments préférés de Mozart, à savoir les voix humaines. Celles-ci s’élèvent dans la cour de la forteresse avec une belle émotion. « Requiem aeternam dona eis... ». C’est le fruit de la conjonction entre Archipels, atelier vocal du chœur de chambre Les Éléments, et l’Académie lyrique d’Occitanie formée spécialement pour les scènes du festival, la conduite du tout étant confiée à Joël Suhubiette [lire nos chroniques de L’aire du dire, Espace et polychoralité et Le nozze di Figaro].

L’ardeur orchestrale ne fait aucun doute aux Kyrie et Dies Irae, puis le chef aère volontiers la polyphonie du Tuba mirum qui révèle tour à tour la royale vaillance du baryton-basse Jean-Loup Pagésy, à l’entame, puis la vivacité du ténor Hoël Troadec, la clarté du mezzo Corinne Bahuaud et la gracilité du soprano Morgane Bertrand. Mené d’une battue vigilante, le chœur parvient au juste climat de la paisible adoration, semblable, dans le bleu du ciel à cette heure, à l’assombrissement du clair de lune (Rex tremendae). L’ascension lumineuse se poursuit sous l’impression du Recordare, offrande vocale scintillante, avant le choc nerveux d’un Confutatis entonné de belle manière abrupte, qui ouvre le débat de l’âme entre contrition (Cor contritum) et résignation de l’heure dernière (Gere curam mei finis). Enfin parvenu au seuil du sacré, Lacrimosa est la traversée d’un courant nocturne frais, au baume choral adoucissant et à la clarinette nette et précise. Domine Jesu résonne ensuite, frénétique, avant le très serein Hostias – « où la mort peut apparaître comme un génie frère du sommeil », selon l’analyse d’Ernesto Napolitano (Mozart vers le Requiem, Édition Delatour, 2013).

Les clameurs redoublent, pour un Sanctus solide et plein d’esprit, puis autrement pour le Benedictus infaillible, sage et presque victorieux. L’élan demeure, même à travers les blancs de la partition de Mozart, complétés par ses proches. Même si le meilleur n’est donc pas pour la fin, l’Agnus Dei réussit, dans ce cadre médiéval magique et la valeureuse persévérance des chœurs, à distinguer le repos éternel imploré. Dans la prière finale, Lux aeterna, la vigueur et l’aspiration vers l’infini laissent entrevoir, grâce à la belle étendue du soprano Morgane Bertrand, notamment, la foi en l’homme qui doit survivre et s’épanouir sans attendre prodige ni miracle. La soirée s’était ouverte par le paisible Ave verum corpus K.618, presque lénifiant, suivi de l’Adagio pour cordes en ut mineur K.546, tout de finesse, de mystère et de précision, comme l’annonce délicieuse d’une sueur froide.

FC