Chroniques

par laurent bergnach

Iris, opéra de Pietro Mascagni (version de concert)
Chœur et Orchestre national de Montpellier, Domingo Hindoyan

Sonya Yoncheva, Nikolaï Didenko, Andrea Carè, Gabriele Viviani, etc.
Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon Midi Pyrénées / Corum
- 26 juillet 2016
Domingo Hindoyan joue Iris (1898), un opéra signé Pietro Mascagni
© marc ginot

Cavalleria rusticana reste l’ouvrage le plus connu de Pietro Mascagni (1863-1945). Tiré d’une nouvelle du Sicilien Giovanni Verga, lequel nourrit son vérisme à la table du naturalisme français, cet opéra en un acte marque une rupture dans la vie de son auteur, ancien élève de Ponchielli devenu professeur de musique et chef d’un petit orchestre des Pouilles, en lui permettant de remporter le concours Sonzogno et d’accéder à une célébrité mondiale, suite à la création du 17 mai 1890, au Teatro Costanzi (Rome). Suivront L’amico Fritz (Rome, 1891), I Rantzau (Florence, 1892), Silvano (Milan, 1895), Zanetto (Pesaro, 1896) et Iris, considéré par d’aucuns comme son chef-d’œuvre, qui ausculte un Japon imaginé par Luigi Illica.

Au XIXe siècle, l’archipel asiatique connait des événements marquants, dont le passage de l’ère Edo (1600-1868) à l’ère Meiji (1868-1912) qui, sous la contrainte, met fin au protectionnisme instauré par le shogunat Tokugawa. En 1853, en effet, quatre vaisseaux de guerre nord-américains et leurs canons Paixhans (français !) font une démonstration de force qui ouvre au commerce quelques ports – appelés « navires noirs » en raison de leur coque goudronnée, ils inspireront un opéra éponyme à Kosaku Yamada (1886-1965). Toutes sortes d’objets décoratifs parviennent désormais en Europe, qui fascinent esthètes et artistes. En France, notamment, on ne compte plus les Fille en kimono ou Japonaise au bain qui flattent l’œil et la libido, et lorsque Loti écrit Madame Chrysanthème (1888), Messager ne tarde pas à le mettre en musique (1993).

Peu avant la Madama Butterfly (1904) de son ami Puccini, Mascagni s’éloigne de la fureur vériste des débuts pour peindre une héroïne présentée au public romain, le 22 novembre 1898. Victime devrait-on dire, puisque l’innocente Iris, telle la Justine de Sade, est convoitée sans trêve, et pour sa perte, par le libertin Osaka. Épaulé par Kyoto, tenancier d’une maison de geishas, celui-ci enlève la jeune fille à l’issue d’un spectacle de marionnettes conçu comme un piège. Mais elle résiste, effrayée par les égarements de la chair, ce qu’ignore son père aveugle qui la retrouve et, au sens propre, la couvre de boue. Incarnées par ses trois hommes, veulerie, luxure et égoïsme sont déplorés en guise de final symboliste, tandis qu’Iris s’élève vers le Soleil, portée par des fleurs.

Nourrie de chromatismes post-wagnériens et de suites d’accords pré-debussystes – comme Jean Cabourg l’indique dans la notice de salle –, la partition est effectivement plus sophistiquée qu’on l’attendait. On comprend pourquoi l’ouvrage reste populaire du Frioul à la Calabre, surtout s’il est dirigé, comme ce soir, avec le soin que lui accorde Domingo Hindoyan. D’abord précautionneux, pour une Ouverture éthérée et presque alangui, le natif de Caracas domine un Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussilon en grande forme, animé pour l’arrivée du Soleil puis des saltimbanques, plein de suspens dans le récit de la pieuvre peinte (Plaisir et Mort mêlés) ou délicatement onirique pour accueillir des chiffonniers glanant sous la lune.

Outre le chœur maison que rejoint celui de la Radio Lettone (Latvijas Radio Koris) préparé par Sigvards Kļava, cette version scénique réunit six solistes. Dans le rôle-titre, Sonya Yoncheva impose un chant évident, ample et coloré qui met la salle à ses pieds. Ténor vaillant, souple et nuancé, Andrea Carè séduit par sa lumière, tout comme Gabriele Viviani, baryton rond, sonore et bien projeté. Claire et efficace, la basse Nikolaï Didenko (Aveugle) satisfait, de même que Paola Gardina au mezzo facile, au jeu émouvant. Caressant est le mot qui résume Marin Yonchev (Chiffonier). Un chef excellent, des chanteurs parfaits, que demander de plus pour finir en beauté un festival plein de pépites ? [lire nos chroniques du 23, 24 et 25 juillet 2016]

LB