Chroniques

par laurent bergnach

intégrale des mélodrames de Jean Sibelius
Isabelle Lesueur, Vincent Figuri, ensemble Calliopée

Institut Finlandais, Paris
- 24 novembre 2004
le compositeur Jean Sibelius
© dr

Pour le troisième rendez-vous de son Cycle Sibelius, l'Institut Finlandais propose en première française l'intégrale des mélodrames de ce compositeur. Pour accueillir le public et l'ensemble Calliopée, on a recouvert de toiles écrues les photographies de l'exposition en cours, portraits géants de corps morts de la Guerre Finlandaise de 1918. Tant mieux, car si le programme présente différents climats, intime ou symboliste, la morbidité n'y aurait pas sa place. Rappelons que le mélodrame est un texte littéraire déclamé par un acteur sur un accompagnement qui le commente. Se référant à une traduction littérale du suédois et du finnois, Vincent Figuri adapta la version française de ces six-là.

Le pianiste Frédéric Lagarde et le récitant font leur entrée avec Tranaden (Langueur). Autour d'une musique illustrative d'un texte descriptif – la mer, le vent, le printemps –, l'œuvre s'ouvre et se ferme sur une leçon de vie : le sens profond de celle-ci est dans le désir et le renoncement de l'homme. Formé à l'art théâtral autant qu'à la musique, Vincent Figuri sait projeter un texte, de même qu'il possède une excellente diction. Un rien de préciosité affleure parfois, qui tendra à s'effacer par la suite. Un piano plus nuancé aurait avantageusement accompagné sa prestation.

Viennent les cordes, plus adaptées que le clavier à l'acoustique de la salle. Du coup, la musique paraît moins froide. Le concert installe son ambiance grâce aux deux mélodrames suivants : O, om du sett (O, si tu voyais) et Grevinnans konterfej (Le portrait de la comtesse, 1907), respectivement pour ensemble de six et dix cordes. Le premier évoque la nature, « grand jeu d'énigmes qui prodigue la beauté à foison », et le second, d'une triste nostalgie, la mémoire qui habite le cœur des hommes.

Extraite de Svartsjukans nätter (Nuits de jalousie, 1893), Deuxième nuit pour trio avec piano vient clore de façon fort expressive cette première partie. Le violoncelle, et particulièrement le violon, veillent à leur élégance alors qu'ils sont au bord du cri. C'est un soir d'été Scandinave où l'homme marche dans la nature voluptueuse, avec une tendre douleur, semblable à celle de l'aigle à la chair meurtrie par la balle du chasseur. Le son d'un luth (évoqué subtilement par le piano) et la voix de la femme aimée l'aident à retrouver « une légèreté de fleur ». Le soprano Isabelle Lesueur est Mina, celle qui appartient désormais à un autre. Après une brève vocalise, nous apprendrons que tout cela n'était qu'un rêve.

Après l'entracte, découvrons trois autres compositeurs. Tout d'abord, Olavi Ingman (1903-1990) et son œuvre tirée d'une légende finlandaise : Kaarinan veri (Le sang de Kaarina). Si « la légende éclate d'un sang innocent », c'est que la jeune fille, qui envoûte tous les hommes d'un seul regard, finira la tête sur le billot, accusée de sorcellerie. Le piano, qui au départ se contente de quelques martèlements, s'emballe par moments, rappelant certaines pages debussystes. Ensuite, Véronique Marin au violoncelle et Renaud Desbazeille à la clarinette basse donnent Oi kuu de Kaija Saariaho, présente dans la salle. Des mondes lointains et poétiques veulent être évoqués. La compositrice a souvent fait appel au violoncelle, notamment dans Petals, pièce solo de 1988, ou dans Près, quatre ans plus tard, auquel elle associait l'électronique. La vibration des cordes plus que leur frottement entre en jeu, tandis que la clarinette – comme la flûte dans NoaNoa – hésite entre le souffle et le son. Enfin, Leevi Madetoja (1887-1947), qui fut élève de Sibelius à l'Institut musical d'Helsinki, réunit harpe, violon et hautbois dans Trois Mélodrames Lyriques – les moins intéressants de ce soir, tant musicalement que littérairement. Ils permettent cependant de mettre en valeur le talent des musiciennes.

Retour à Sibelius pour les deux dernières pièces au programme. Ett ensamt skidspar (La Trace de ski solitaire, réécriture en 1948 de la version piano de 1925) propose des cordes d'une grande légèreté qui glissent puis tournoient sur un rythme de valse. Quelques notes de harpe viennent clore l'œuvre (redonnée en bis, en langue originale), évoquant les étoiles à l'arrivée de la nuit ou ces flocons de neige qui recouvrent l'empreinte… Skogsraet (Le génie des bois, 1895 – ou La nymphe des bois, dans sa traduction la plus courante) nous laisse sur une image moins doucereuse. Deux cors héroïques sont soutenus par un quatuor à cordes qui crée peu à peu une tension maléfique. Un beau jeune homme, dont même les Elfes sont jaloux, est enchanté par deux yeux bleus au fond d'une forêt bruissante. Si tout commence comme une sorte de Roi des aulnes adapté, on s'achemine imperceptiblement vers une amertume terriblement russe : les années passent et le jeune homme est devenu un vieillard, entouré de chaises qui n'ont jamais porté d'enfants.

Avec maîtrise et subtilité, Calliopée fait mesurer l'importance du compositeur comme lien entre romantisme et impressionnisme.

LB