Chroniques

par irma foletti

Il viaggio a Reims | Le voyage à Reims
dramma giocoso de Gioachino Rossini

Rossini Opera Festival / Teatro Rossini, Pesaro
- 15 et 17 août 2018
Il viaggio a Reims par Emilio Sagi au Rossini Opera Festival de Pesaro
© studio amati bacciardi

On le sait, le Rossini Opera Festival a marqué l’histoire avec la redécouverte du fameux Voyage à Reims, en 1984, sous la direction de Claudio Abbado et dans la production de Luca Ronconi. Œuvre de circonstance pour les célébrations du couronnement de Charles X, cette cantate scénique, dramma giocoso en un acte, fut immédiatement retirée de l’affiche par le compositeur après les premières représentations, en 1825, avec interdiction de la jouer ultérieurement. Il s’agissait vraisemblablement de mieux pouvoir en réutiliser la musique dans Le comte Ory, créé à l’opéra Le Peletier en 1828. Le ROF reprit la production de Ronconi uniquement en 1992 – sous la baguette d’Abbado, avec la même brochette de stars –, puis en 1999, dans une scénographie repensée pour la plus vaste salle du Palafestival, en présence d’une distribution vocale complètement renouvelée.

À l’affiche du ROF chaque année depuis 2001 dans la réalisation d’Emilio Sagi, le titre est passé sous la mention Festival Giovane, défendu par les jeunes chanteurs de l’Accademia Rossiniana Alberto Zedda, musicologue et chef d’orchestre disparu en 2017. Créée et dirigée par Zedda en 1989, confiée depuis deux saisons à Ernesto Palacio, surintendant et directeur artistique du festival, l’Accademia a formé plus d’une génération de chanteurs rossiniens. Les élèves d’aujourd’hui seront, à coup sûr, les vedettes de demain, comme le montrent les distributions successives du Viaggio où l’on repère les noms de Saimir Pirgu (2002), Marianna Pizzolato (2003), Maxim Mironov (2005), Olga Peretyatko (2006), Marina Rebeka (2007), Yijie Shi (2008), Enea Scala (2009), Carmen Romeu (2011), Davide Luciano (2012), Aya Wakizono (2014) ou encore Salome Jicia (2015). On retrouve le plus souvent ces chanteurs ici lors des éditions suivantes, avec parfois une plongée « dans le grand bain », très rapide pour certains : Salome Jicia dans le rôle-titre de La donna del lago dès 2016, Wakizono et Luciano dans La pietra del paragone l’été dernier, puis le Barbiere di Siviglia cette année [lire nos chroniques du 14 août 2017 et du 13 août 2018].

Il viaggio a Reims a le grand avantage de comporter de nombreux rôles, pour tout type de voix. Données dans le Teatro Rossini, les deux représentations permettent une double distribution sur au moins la moitié des rôles principaux. 2018 nous semble un bon cru, ne serait-ce que pour la qualité exceptionnelle du soprano Maria Laura Iacobellis, entendue le 15 août en Corinna, timbre d’une séduction très rare, musicalité parfaite, que l’on préfère à Alexandra Sennikova, le surlendemain, dont le chant est certainement plus franc et sonore, mais moins raffiné. En Marchesa Melibea, Laura Verrecchia, voix étendue, au caractère marqué, et très bonne actrice, l’emporte largement sur Maria Barakova, plus approximative. La Contessa di Folleville très agile de Claudia Muschio fait meilleure impression que Larisa Stefan, au timbre moins séduisant, de même la Cortese de Milla Mihova que celle de Lusine Makaryan.

Les deux ténors chargés de Belfiore sont de qualité : bel abattage pour Manuel Amati, au timbre assez nasal, et Anatoliy Pogrebnyy beaucoup plus clair mais à l’accent slave. Shanul Sharma possède toutes les notes du rôle très large du Conte di Libenskof et peut encore progresser sur le brillant de ses aigus. Les deux basses Carles Pachón i Díaz et Nicolo Donini se montrent à la hauteur des difficultés techniques à relever pour Lord Sidney, avec un avantage certain pour ce dernier, grain somptueux, virtuose dans les fioriture, et qui ajoute quelques menues variations. Petr Sokolov (Don Profondo) assure les deux dates avec vaillance, mais sans le brio qu’on attend dans l’air Medaglie incomparabili qui faisait la gloire de Ruggero Raimondi. Dans les rôles moins exposés, Igor Onishchenko interprète sans difficultés le Barone di Trombonok. On remarque la voix solidement timbrée de Pablo Gálvez (Don Alvaro mercredi, Don Prudenzio vendredi).

En fosse, l’Orchestra Filarmonica Gioachino Rossini fait un sans-faute, placé sous la baguette vivante et pleine d’énergie d’Hugo Carrio. L’intérêt de telles soirées est donc surtout vocal, pour des spectateurs qui connaissent par cœur la mise en scène d’Emilio Sagi, la plupart la voyant chaque été ! Reprise par Elisabetta Courir, elle demeure un exemple de simplicité, d’humour, de bon goût et de poésie. Dans l’établissement thermal Il Giglio d’Oro, les transats sont alignés pour les curistes ; on ne se lasse pas des bulles de savon qui volent pendant l’air d’entrée de Madama Cortese ou des cœurs que découpent les choristes pendant la grande scène de Lord Sidney, ni de l’image finale lorsqu’après son entrée en salle couronné comme le futur Charles X un jeune garçon mange, tout seul dans son coin, un panino accompagné d’une canette de soda… d’ailleurs, quel âge peut bien avoir le garçon de l’édition 2001 ?

IF