Chroniques

par gilles charlassier

Il ritorno d'Ulisse in patria | Le retour d’Ulysse dans sa patrie
opéra de Claudio Monteverdi

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 28 février 2017
la piètre mise en scène de Mariame Clément au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© vincent pontet

Si l'on a coutume de faire d'Orfeo l'acte baptismal de l'opéra, sans doute induits par la puissance parabolique inaugurale de l'argument, il faut attendre la fin de la première moitié du seicento pour trouver les premiers avatars conservés du drama in musica dans sa forme consacrée par le mouvement qui l'a porté à sa première maturation, exploitant pleinement les ressources théâtrales du recitar cantando, au delà de son lyrisme poétique et madrigalesque. Deux ans avant L’incoronazione di Poppea, matrice d'une école vénitienne qu'illustrera un Cavalli, Monteverdi livrait en 1640 Il ritorno d'Ulisse in patria, inspiré par les aventures de Pénélope relatées dans le corpus homérique. Sans nier la versatilité dramaturgique perceptible dans le livret de Giacomo Badoaro comme dans les registres de la partition, la veine sentimentale prend souvent le pas sur un instinct satirique plus cru dans la déliquescence morale de l'ultime opus. Le moindre relief corollaire explique peut-être, avec les aléas éditoriaux, sa présence plus discrète sur les planches.

Coproduit avec Nuremberg et Dijon, le spectacle commandé à Mariame Clément par le Théâtre des Champs-Élysées s'évertue à redonner de la couleur à l'ouvrage, en l'assaisonnant d'anachronismes. Par une habile mise en abyme, la scénographie de Julia Hansen procède à une inversion des préséances tout à fait dans l'esprit de la Venise de l'époque, confinant les dieux dans une arrière-scène gigogne, spectateurs plus impuissants et désintéressés du destin des hommes que la tradition mythologique le voudrait, laquelle prend un certain visage de contemporanéité dans le désœuvrement des immortels. Rehaussée par les lumières de Bernd Purkrabek, cette ingéniosité conceptuelle ne cherche pas à actualiser inutilement les péripéties – le palais a des allures de pastel intemporel – mais ne se refuse pas de pimenter l'ensemble avec des gags, sinon des facilités, qu'on croirait exhumés du pop art, tels le distributeur de boissons ou des vignettes de bande dessinée.

Fors le couple royal qui apparie la Penelope sobre, voire un peu monochrome, de Magdalena Kožená à un Ulisse impétueusement hors style qu'on a fait miroiter à Rolando Villazón, le plateau voit palpiter le langage monteverdien, emmené par la constance d'Emmanuelle Haïm s'appuyant sur la générosité charnue et idiomatique de son Concert d'Astrée.

Krešimir Špicer, qui a déjà assumé le rôle-titre de la pièce [lire notre critique du DVD], confie à Eumete une émission aussi lumineuse que sa déclamation chantée, qualités que partage le Telemaco plein de saveur juvénile de Mathias Vidal. Emiliano Gonzalez Toro appartient à ces ténors dits « de caractère » si l'on ne craint de sous-estimer la plénitude des moyens vocaux. Il démontre son savoir-faire en Eurimaco, quand Jörg Schneider ne lui cède en rien dans l'instinct comique du goinfre Iro. Jean Teitgen condense la noble autorité de Nettuno. On saluera la fraîcheur sensible d'Anne-Catherine Gillet, Amore et Minerva, que l'on pourra préférer à la Melanto un peu minaudée par Isabelle Druet, également entendue en Fortuna dans le Prologo. Maarten Engeltjes se montre autant à l'aise en Pisandro qu'en Humana fragilità. Mentionnons encore les deux autres prétendants, Antinoo et Anfinomo, dévolus aux estimables Callum Thorpe et Lothar Odinius, auxquels reviennent par ailleurs, respectivement, Il Tempo et Giove, sans oublier la Giunone de Katherine Watson et l'Euriclea de Mary-Ellen Nesi [sur son händélienne Déjanire, lire notre chronique du 20 janvier 2017], venue suppléer Élodie Méchain, victime des virus hivernaux.

GC