Chroniques

par françois cavaillès

Il barbiere di Siviglia | Le barbier de Séville
opéra de Gioachino Rossini

Festival de Saint-Céré / Théâtre de l'Usine
- 9 août 2017
Pierre Thirion-Vallet met en scène Il barbiere di Siviglia (Rossini) à St-céré
© ludovic combe

Dans ce petit bijou moderne qu'est le Théâtre de l'Usine de bruyants apprentis coiffeurs se sont incrustés, peu avant le spectacle, pour remuer et bourdonner dans les travées ! Drôle d'accueil du public... Dirigé par Gaspard Brécourt, l'Orchestre Opéra Éclaté l’en délivre en présentant avec justesse, légère raideur et belle modestie depuis la galerie en haut de la scène, cette Ouverture des plus connues qui lance sous rasoirs et peignes le défilé bipolaire d'étranges personnages, soit comateux, soit surexcités. Le tout chauffe à feu vif l'avant-scène, à la manière vivace et un peu bourrue d'un café-théâtre gesticulant, doté d'une cocotte-minute orchestrale !

Et puis... Ah, font les spectateurs, le rideau se lève bien tard ce soir, mais enfin, pour le deuxième tableau de... du fameux... Barbier de Séville. Façon Deschiens ?... Grand merci au décorateur Frank Aracil pour cette malicieuse et superbe plongée dans une boutique d'électroménager rutilante et ringarde (années soixante), déclinant son nom sans vergogne dans chaque enseigne et jusque dans ses réclames populaires : chez rosinex. La jeune fille Rosina est en effet suspendue dans un poste de télé géant, captive espiègle, pimpante comme un polaroïd et jolie comme un cœur dans l'une ou l'autre des merveilleuses petites robes signées Véronique Henriot – une fantastique costumière, sur cette griffe ou sur les étiquettes retournées des autres personnages bien plus truculents (on prendrait tout à la maison !) De cette coproduction entre le Centre Lyrique Clermont-Auvergne et Opéra Nomade comme aux puces, oui : de plus en plus joyeusement loufdingue. Et à ce petit jeu, la part belle reste au cygne de Pesaro.

« Le génie de Rossini, prévient la brochure de salle, tient à cet art physique du crescendo, destiné à faire monter la tension, jusqu'à ce que le public trépigne et explose ». Chiche ?... Avec rythme à couper le souffle, la mise en scène de Pierre Thirion-Vallet casse finalement la baraque, en faisant feu de tout bois – clowneries, mimes, absurde, guignol, autodérision, onirisme, danse de Sioux... Outrancière mais jamais vulgaire, et d'autant mieux que les amateurs de Rossini, qui, avec un appétit aussi solide que le sien, ne demandent qu'à prendre place et se rassasier d’opéra-bouffe, ont le cœur aussi vite emporté par le plateau vocal, lui-même saisi de la folie galopante et bipolaire (terme psychanalytique facile, certes, réemployé ici pour paraître en vogue, d'accord, et incidemment pour apparier cette cavalerie de fous chantants aux lignes suivantes).

En bleu de travail, le Figaro hirsute concocté par le jeune baryton Gabriele Nani [lire notre chronique du 12 février 2016] paraît d'abord digne de son concepteur Beaumarchais : « de la raison assaisonnée de gaieté et de saillies ». À l'air de factotum, particulièrement difficile car coincé entre les gradins et le rideau, il apporterait celui de Tarzan – avec des acrobaties vocales mieux réussies et surtout l'humour dans le chant – pour ensuite s'entendre vite, tels larrons en foire, avec le Comte campé par le ténor Guillaume François et parti, lui, sur les bases d'un Elvis galant (aux sérénades), angélique ou brûlant, puis encore beaucoup plus déjanté, voire hilarant, dans les scènes à déguisement.

La basse Federico Benetti (Basilio) donne toute satisfaction, s'enflammant même pour l'air de la calomnie. En tandem, le rôle de Bartolo est tenu par un formidable comédien et chanteur, le baryton Leonardo Galeazzi, à l’excellente vis comica [lire notre critique du DVD Koukourgi]. Le soprano Eduarda Melo compose de même un régal de Rosina [lire notre chronique du 8 mars 2011], apparaissant agile dans les airs, les vocalises et le merveilleux jeu de scène, tour à tour sirène, fée, bonniche, mignonne, drôle, amoureuse... Comme pour la compléter, toute en fine suggestion discrète et presque muette, Anne Derouard fait de Berta, femme de chambre de Bartolo, une vraie personne familière, délicieusement terre-à-terre avant Il vecchiotto cerca moglie, belle envolée de soprano lyrique, nerveuse à souhait et bien projetée.

Enfin, sous les ovations méritées devant la qualité collective du service, rapide et précis, pour les ensembles étourdissants, et presque écœurants, comme des récitatifs précis et expressifs (fi de l'absence de sous-titrage), pardon mais... un peu de modération serait tout de même recommandée, et de s'épargner la voracité ogresque de Rossini, avant que tout cela ne vire à l'orgie... Pourtant, comment ne pas y retourner ? Le cirque rossinien d'Opéra Nomade perce à la dynamite sa voie vers le Nord, pour quelques chaudes soirées d'hiver toutes indiquées.

FC