Chroniques

par bertrand bolognesi

Idomeneo, re di Creta | Idoménée, roi de Crète
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Atelier Lyrique de Tourcoing, Théâtre municipal
- 23 mars 2004
Idomeneo de Mozart à Tourcoing (photo Danièle Pierre)
© danièle pierre

Une dizaine de jours plus tard, nous retrouvons l’équipe de Tourcoing pour la passionnante mise en regard de l’Idoménée de Campra et de l’Idomeneo de Mozart par Christian Baggen [lire notre chronique du 14 mars 2004]. Les années passent, les goûts changent, la musique développe d’autres procédés, le théâtre s’oriente diversement ; et pourtant... Karl Theodor commande à Wolfgang Amadeus Mozart un opéra qui doit être joué lors des célébrations du carnaval de Munich, à la fin janvier de 1781. Passionné de lettres françaises, le prince a confié à Giambattista Varesco, chapelain italien viennois vivant à Salzbourg, l’élaboration d’un nouveau livret à partir de celui de Danchet, Idomeneo, re di Creta.

D’une telle filiation, l’œuvre de Mozart gardera certains traits, comme l’importance des chœurs et la présence de ballets. En revanche, le livret est largement modifié. La fin tragique de la pièce de Crébillon aurait fait figure de barbarie pendant les Lumières. Idoménée fait bel et bien son vœu cruel à Neptune, mais cette fois aucune rivalité amoureuse ne l’oppose à son fils. Ilione est devenue Ilia, amoureuse d’Idamante et rivale d’Électre. Jusqu’à l’apparition du monstre marin, les textes se superposent. Là, Idomeneo avoue à son peuple la promesse qui le lie : après avoir tué la créature, Idamante s’offre lui-même au sacrifice. Alors que le père va baisser la lame pour satisfaire Neptune, Ilia intervient : « Idamante est innocent, il est ton fils, et l’espoir de ton royaume. Les dieux ne sont pas des tyrans : vous vous êtes tous trompés en interprétant la volonté divine. Le ciel veut débarrasser la Grèce de ses ennemis, pas de ses fils. Bien qu’innocente, bien qu’amie, je suis fille de Priam et je naquis phrygienne, par nature ennemie au nom grec. Immole-moi ». La Voix de l’oracle de Neptune retentit alors : pour apaiser la fureur du dieu des mers, Idoménée doit abdiquer, unir Ilia et Idamante qu’il fera tous deux régner sur la Crète. Tandis qu’Électre hurle sa rageuse déception, tout entre dans l’ordre sans la moindre effusion de sang.

Pour cet Idomeneo de Mozart, Idamante est le même homme, Carl Ghazarossian, arborant un timbre peut-être plus exquis encore, parfaitement articulé, mais tout de même un peu trop léger au-dessus d’un orchestre plus présent. Alain Bertschy est également de la partie : il donne un Arbace probant, irréprochable, soigné, aux aigus souvent caressants, et son air Se colà ne’ fatti è scritto est un des plus beaux moments de la soirée. Si l’Idomeneo de Sune Remi Hjerrild est un rien maladroit au début, il s’avère ensuite idéalement distribué ; le raffinement du chant, toujours nuancé, fait les délices du dernier acte. Stéphanie Revidat chante une Ilia monolithique d’une voix intéressante et riche, mais pas assez finement utilisée. Avec sensibilité et intelligence, Caroline Mutel campe une Electra explosive, fabuleusement projetée. Signalons aussi la vaillance de Dominique Gagné dans le rôle du Grand Prêtre de Neptune. Les ensembles bénéficient d’un sain équilibre, soigné avec efficacité et minutie ; l’on citera en exemple l’excellent quatuor Electra-Ilia-Idamante-Idomeneo de la Scène 3 de l’Acte III

L’espace conçu par Christian Baggen a évolué d’un ouvrage à l’autre.
S’il fonctionnait assez idéalement dans la tragédie lyrique de Campra, il s’avoue moins facile dans Idomeneo où la radicalisation du plan incliné ne paraît guère heureuse. L’espoir tout de suite est présent dans Mozart, avec l’apparition cyclique du taureau projeté sur un mur, à la fois comme possible alternative au sacrifice promis et tutelle bienfaisante. Mais c’est avant tout dans le rite que Baggen excelle, car si la scène du couronnement interrompu se révélait saisissante dans Idoménée, celle du sacrifice et de la purification d’aujourd’hui est bouleversante. Discrètement, il construit la présence du chœur comme d’un véritable peuple, ce qui reste assez rare à l’opéra.

Malgoire donne tout son relief à l’œuvre de Mozart par une lecture à l’accentuation dosée.

BB