Chroniques

par irma foletti

I due Foscari, opéra de Verdi en version de concert
Daniele Rustioni dirige l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon

Leo Nucci, Francesco Meli, Marina Rebeka, Jean Teitgen, etc.
Festival d’Aix-en-Provence / Grand Théâtre de Provence
- 16 juillet 2021
Leo Nucci et Marina Rebeka chantent "I due Foscari" au Festival d'Aix 2021
© vincent beaume

Après avoir assuré avec brio les six représentations de Falstaff au Théâtre de l’Archevêché [lire notre chronique du 1er juillet 2021], les Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Lyon interprètent un autre opéra de Giuseppe Verdi, I due Foscari, donné cette fois en version de concert et pour une unique soirée du Festival d’Aix-en-Provence. Dès la courte Ouverture, on apprécie la qualité de la direction musicale de Daniele Rustioni et l’impeccable exécution des musiciens – par exemple, la vivacité d’ensemble des cordes en opposition à la triste poésie de la clarinette solo, thème qui reviendra plusieurs fois pour confirmer l’issue fatale pour le fils Jacopo. Le chef principal de la formation imprime tout du long une énergie et un mordant qui magnifient la partition, ainsi qu’une variété de nuances toujours à propos. Le Chœur est également bien en place, dès le premier numéro, Silenzio, mistero, où les contrastes sont fortement marqués entre les mesures piano et forte.

Mais l’évènement de la soirée est d’abord la présence de Leo Nucci en Francesco, rôle qu’il a fait sien depuis de nombreuses années et qu’il affectionne le plus, comme il l’a régulièrement indiqué lors d’entretiens. La vision de son entrée en scène prend déjà aux tripes : un doge de Venise abattu, accablé, portant le poids du monde sur ses épaules, en pressentant la poursuite du drame familial – plusieurs de ses enfants sont morts avant le début de l’intrigue, son fils va mourir et lui-même n’y survivra pas. Dans sa quatre-vingtième année, le baryton italien ne possède certes plus les moyens d’antan, mais il n’en produit pas moins une performance inoubliable. Si la souplesse vocale fait un peu défaut sur quelques petits groupes de notes, il a conservé intacts le soutien et la puissance de la projection, jusqu’aux aigus à pleine voix. L’interprétation est par ailleurs sans égale, dès ses récitatifs toujours chargés de sens (certains chantés assis) jusqu’au sommet d’émotion que procure le grand air du troisième acte, Questa è dunque l’iniqua mercede, avec la phrase « Rendetemi il figlio » répétée à l’envi.

Ses partenaires sont les grands noms actuels du chant verdien. À commencer par le deuxième rôle-titre, Jacopo Foscari, tenu par Francesco Meli. Depuis plusieurs années, la puissance de son émission s’est continuellement développée, faisant entendre aujourd’hui un chant très épanoui, d’une présence indéniable. Le timbre est intrinsèquement séduisant bien que l’on puisse trouver le style et les couleurs peut-être en manque de variété. On apprécie les efforts du ténor à distiller les nuances piano, mais le contrôle en paraît délicat et c’est souvent le forte qui a tendance à reprendre sa place naturelle [lire nos chroniques d’I due Foscari à Londres et à Monte-Carlo, de la Messa da Requiem, La traviata, Giovanna d’Arco, Anna Bolena, Falstaff et Maria Stuarda]. Distribué en Lucrezia Contarini, le soprano letton Marina Rebeka dégage une notable autorité dès les premiers récitatifs. L’aigu est bien placé et sonore [lire nos chroniques d’Ariodante et d’Il viaggio a Reims]. Elle développe une jolie ligne musicale au cours de la cantilène accompagnée majoritairement à la harpe, les traits d’agilité ne lui posant ensuite pas de problème. Le timbre est d’une rondeur agréable dans le medium, mais plus pointu dans le registre le plus haut, tandis que le texte n’est pas toujours complètement idiomatique.

Verdi a prévu trois rôles principaux pour son opéra, n’ayant pas composé d’air spécifique pour Jacopo Loredano, le quatrième personnage. C’est bien regrettable car Jean Teitgen, qui participe aux ensembles, développe sa voix de basse profonde particulièrement sonore, dotée d’un timbre qui correspond idéalement au méchant de l’histoire [lire nos chroniques de Samson et Dalila, Les barbares, Pelléas et Mélisande et La Gioconda, entre autres]. Valentin Thill (Barbarigo) et Adèle Charvet (Pisana) complètent avantageusement la distribution vocale.

Le public se lève comme un seul homme après les dernières mesures pour ovationner musiciens et chanteurs de ce concert d’exception, avec un Nucci tout sourire qui semble saluer chaque spectateur de la main.

IF