Chroniques

par jérémie szpirglas

Hin und zurück | Aller-retour
Das lange Weihnachtsmahl | Un long dîner de Noël

opéras de Paul Hindemith
La Péniche Opéra / Théâtre de Fontainebleau
- 16 octobre 2009
Das lange Weihnachtsmahl, opéra d’Hindemith vu à Fontainebleau
© c.legay

Le temps : voilà un sujet véritablement préoccupant ! Temps historique, temps psychologique, durée, temps de l'action ou du mouvement, continuité… Quel penseur ne s'est pas un instant intéressé à ce concept élusif ? Combien y ont consacré leur vie ? Combien d'œuvres littéraires, théâtrales, sans parler des représentations picturales et sculpturales, tentent d'embrasser ceci qui nous échappe sans cesse ?

L’opéra, toutefois, fait figure de relative exception. Si l'on pourra rétorquer que la musique est en elle-même l'art du temps par excellence, l'opéra en fait, quant à lui, rarement son sujet. Au XIXe siècle, mus par leur fantasme d'art total, certains compositeurs ont même été tentés d'abolir le temps en tant que durée formelle, diluant l'action, pour aller chercher, au delà du temps, au delà du langage, une émotion brute qui eût pu s'épancher sans autre support qu'un océan ininterrompu de sons. Le tournant du XXe siècle bouleverse cette donnée, dans l'opéra comme dans toutes les autres formes artistiques. On ne dilue plus l'action, on ne dilue plus le sentiment – il est présent, cristal pur, dans chaque instant de musique, et l'auditeur doit le saisir au vol.

C’est donc du temps, dimension impalpable, malléable et hautement subjective, qu'il est question dans ces deux brefs opéras d’Hindemith proposés par La Péniche Opéra pour inaugurer sa résidence au Théâtre de Fontainebleau et dans le sud seine-et-marnais. Sans s'embarquer dans une réflexion bergsonienne, Hindemith s'intéresse successivement à sa réversibilité et à son caractère perméable, lorsqu'il s'agit du temps de la mémoire, du temps ordinaire et des gestes répétés qui le ponctuent.

Dans Aller-retour, opéra de chambre de douze minutes composé en 1927 (Hin und zurück), il s'empare d'une scène domestique tragique – un mari tue sa femme adultère, puis, pris de remords, se donne la mort – et, par la magie d’une écriture (musicale et dramaturgique) en miroir, enferme ses personnages dans une boucle sans fin. Dans un sens, c'est un drame sordide ; dans l'autre jaillit un comique inattendu, plein de légèreté et d'humour noir : le mari se « re-fenestre » (entrant à nouveau par cette même issue de laquelle il s'est jetée), la femme ressuscite, la dispute se rembobine sous nos yeux.

Un long dîner de Noël (Das lange Weihnachtsmahl, 1960), ultime opéra de Hindemith, est une saga familiale exclusivement constituée d'instantanés, quatre-vingt dix réveillons qui se suivent et se ressemblent… ou pas. Réflexions récurrentes sur la pluie et le beau temps, arrivées des nouveau-nés, décès des anciens, révoltes des jeunes : tout y passe, avec le poids tragique et banal du jour-le-jour. Au travers (ou au service) de cette exploration de nos perceptions temporelles, on découvre la riche pauvreté (ou la pauvre richesse) du quotidien – ses anecdotes, petites ou grandes, nobles ou mesquines.

Comme toujours à La Péniche Opéra, il faut saluer l'intelligence de la mise en scène de Mireille Larroche – son économie, sa fantaisie, ses trouvailles pertinentes (les démarches de pantin et costumes de clown dans Aller-retour, la douce évolution de la direction d'acteur dans Un long dîner de Noël, pour ne citer que celles-là) ainsi que la réactualisation du discours. Car Mireille Larroche en profite (au moyen de vidéos et projections d'actualités ou d'œuvres cinématographiques sans rapport avec l'action, mais qui servent autant de contrepoint que de ponctuation) pour faire passer un discours altermondialiste qui, s'il n'a rien de neuf, garde assez de fraicheur pour traduire les concepts abordés à plus large échelle.

Dans la fosse, le plaisir est également au rendez-vous, du moins dans Aller-retour dont la partition rappelle un certain cabaret berlinois, acerbe et plein de saveurs. Dans Un long dîner de Noël, en revanche, l'arrangement pour petit ensemble réalisé par Lionel Peintre, directeur musical de la production, ne rend pas toujours justice à l'inventivité d’Hindemith – qui, pour chaque décennie, emprunte à un style musical ou à un autre, donnant à chacune son identité propre.

JS