Chroniques

par bertrand bolognesi

Haydn, Berg et Schönberg
Joseph Swensen dirige l’Orchestre Symphonique de la Monnaie

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 9 février 2003
Thomas Zehetmair joue le Concerto à la mémoire d'un ange de Berg à Bruxelles
© dr

Hier soir, dans les opéras de Zemlinsky, nous apprécions beaucoup le travail de Markus Stenz à la tête de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie [lire notre chronique du 8 février 2003] ; aussi sommes-nous assez déçus de le voir remplacé pour ce concert dont finalement Joseph Swensen assure la direction.

Le programme commence avec la Symphonie en mi bémol majeur Hob.22 de Joseph Haydn, dans une lecture plutôt intéressante en ce qui concerne son premier mouvement. On constate quelques problèmes de cuivres à travers des attaques approximatives. La tension du tempo est tenue sur tout l’épisode en une grande et belle concentration. En revanche, le Menuet et le Presto manquent d’esprit, exécutés avec lourdeur. Notons un excellent pupitre de bois.

La tendance à ralentir les tempi se vérifie avec le Concerto à la mémoire d’un ange pour violon et orchestre, d’Alban Berg. Swensen en stoppe malencontreusement la dynamique et noie l’exécution dans une emphase étouffante. On perçoit bien qu’au violon Thomas Zehetmair tente d’avancer, mais il ne parvient pas à tirer la masse orchestrale au bon tactus. De ce fait, les passages accelerando perdent leur caractère, n’ayant plus vertu de surprise. Ce manque général de mobilité dédramatise l’œuvre. Pourtant, on peut guère rapprocher Berg d’une idée de « musique pure », comme certains l’on fait pour Webern ; ce concerto est signé de la même main que la Suite Lyrique et, surtout, que Lulu. On n’en obtient ici qu’un déroulement statique, froid, qui oublie la dédicace de la partition. Comment s’accommoder de la sonorité (à juste titre) tragique du soliste et de l’étrange sérénité hors propos de l’orchestre ? Le solo de violon de l’Allegro attend des réponses âpres des cordes, bruiteuses, chères à l’auteur (souvent utilisées dans Wozzeck et surtout dans les Altenberg Lieder) : cette carte n’est pas jouée ce soir, mais bien plutôt celle d’un son propret pourtant contraire à l’esprit de ces pages. Paradoxe : le choral, rare moment d’inertie, n’est pas assez droit, à la fois dans l’égalité de la sonorité et dans la battue. Du coup, les incises vocaliques du soliste prennent l’importance de véritables phrases au lieu de rester discrètes comme des ornements. Encore l’équilibre général est-il parfois mis à mal : ainsi les grandes phrases lyriques des cordes se trouvent-elles étouffées par des cuivres trop présents.

La soirée se conclut par le poème symphonique Pelleas und Melisande Op.5 d’Arnold Schönberg, dans une interprétation fort soignée et d’une grande minutie dans le respect des équilibres entre pupitres, tout en étant traversée d’un vrai souci de n’en perdre une miette. Mais avec cette œuvre déjà longue en soi, le chef ne déroge pas à ce qui fait décidément figure d’habitude ou de travers : le tempo s’étire dans une étouffante lenteur. Chaque détail se fait alors îlot séparé du continent, jusqu’à en perdre les thèmes. À force de veiller à la juste prononciation de chaque syllabe, on ne forma aucun mot (sans parler de phrases…). C’est d’autant plus frustrant que le travail de Joseph Swensen affirme par ailleurs de réelles qualités de coloriste qu’on aimerait entendre s’intégrer à une conception d’ensemble.

BB