Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustavo Dudamel et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris
Joseph Haydn, Olivier Messiaen, Maurice Ravel et Richard Strauss

Philharmonie, Paris
- 8 avril 2023
Gustavo Dudamel et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris à la Philharmonie
© dr

Après son concert d’ouverture de saison consacré à une seule œuvre, et de taille [lire notre chronique du 16 septembre 2022], l’Orchestre de l’Opéra national de Paris quitte encore ses fosses et gagne le plateau de la Philharmonie pour un programme à l’éclectisme bonhomme, donné sous la battue de Gustavo Dudamel. Parce qu’il dirige en ce moment Nixon in China [lire notre chronique du 25 mars 2023] pour encore deux représentation (les 12 et 16 avril), d’aucun auront pensé trouver ici un peu de musique étasunienne, le chef vénézuélien défendant volontiers celle de John Adams (qu’il a d’ailleurs enregistrée), et peut-être même quelques pages plus largement américaines (entendre : de ce continent considéré au sud de la frontière mexicaine). Il n’en sera rien, le directeur musical de l’Opéra préférant une nouvelle fois célébrer la France à travers un programme pensé pour ce faire. À l’instar de celui qu’il offrait ici-même à sa prise de poste, il y a deux ans, Dudamel mêle une symphonie classique et Outre-Rhénane créée à Paris – c’était alors Mozart quand aujourd’hui nous entendrons Haydn – à des opus français – Berlioz et Ravel en 2021, pour Messiaen et Ravel ce soir. Enfin, une sorte de surprise généreusement festive viendra couronner ce menu [lire notre chronique du 8 novembre 2021].

Commandé par Marek Janowski qui, près de deux ans après son achèvement, le créa au Théâtre du Châtelet (Paris) le 5 décembre 1991, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Un sourire d’Olivier Messiaen est un hommage à Wolfgang Amadeus Mozart à l’occasion des deux cents ans de sa disparition (5 décembre 1791 – jour pour jour, donc). Sa vie durant, le compositeur français nourrit un souvenir ému de sa mère, la poétesse Cécile Sauvage (1883-1927), décédée au premier mois de sa quarante-cinquième année lorsqu’il ne compte encore que dix-neuf ans. Admiratif de la musique de Mozart comme du personnage – il consacra un essai à ses vingt-deux concerti pour piano –, Messiaen se glisse dans l’adversité comme dans la grâce, en alternant contemplation modale et tonicité rythmique en chants d’oiseaux, pour conclure dans la bénédiction des cuivres. Somptueusement ciselée par les bois, la première entrée de la section tendre bénéficie d’un soin des plus raffinés. A contrario, le premier insert tragique persifle brièvement mais sûrement, faisant goûter l’efficacité des percussionnistes de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, formation que l’on est heureux de retrouver hors fosse. Le retour de la contemplation se fait plus doux encore, quand celui du moment contradictoire fait voleter ses cuivres. Après un développement plus calme encore du motif initial, dans une indicible suavité, la troisième rage percussive se déchaîne, dans un contraste extrêmement contrôlé où les bassons ne sont pas couverts. L’abord de l’ultime chant signe une vision très concentrée, savamment maintenue dans une dynamique subtile.

Si l’effectif convoqué par Un sourire s’avérait relativement concis, le changement de plateau qui s’ensuit ressemble à s’y méprendre à un envahissement. Loin de flirter avec ce qu’on appelle désormais l’interprétation historiquement renseignée, Gustavo Dudamel ne déroge pas à une tradition un peu plus ancienne pour jouer la Symphonie en ut majeur Hob.I: 82 L’Ours (1786) de Joseph Haydn, créée à Paris par le Chevalier de Saint-George au pupitre du Concert de la Loge Olympique, en 1787 – elle appartient au corpus commandé par Claude-François-Marie Rigoley, comte d’Ogny (1756-1790), pour cet orchestre à la fondation duquel il avait œuvré, soit six symphonies dites parisiennes (de cette quatre-vingt-deuxième à la quatre-vingt-septième). La baguette s’en tient ici à l’économie, indiquant avec juste ce qu’il faut d’impérative invitation l’inflexion d’un Vivace assai ludique à souhait. Avec beaucoup d’esprit, les musiciens complices livrent le gracieux Allegretto, faisant aimablement danser le Menuetto dont pourtant l’on regrette qu’il y manque une couleur plus délicate des cordes. Mafflu à souhait, comme pour honorer son titre, le Rondo final (Vivace), révèle la belle santé de l’orchestre comme l’humilité de son chef à ne pas chercher d’imposer de lecture plus personnelle.

Le plus beau moment de la soirée tient incontestablement en sa seconde partie, et plus exactement le début de celle-ci, avec Ma mère l’Oye de Maurice Ravel (première version pour piano à quatre mains de 1910 ; orchestration de 1911 ; un ballet surviendrait encore en 1912). Ainsi nous voilà ravis par les contes français de la fin du XVIIe siècle. Dudamel a parfaitement choisi de quoi mettre en valeur ses musiciens : en témoigne la grâce exquise de la Pavane de la Belle au bois dormant. Idéalement farouche, dans les figuralismes secrets des bois – ceux que l’on réentendrait à partir de 1925 dans le second tableau de L’enfant et les sortilèges –, Petit Poucet promène l’écoute dans des alliages timbriques somptueusement cultivés, mais encore dans un désarroi non dépourvu de lyrisme. Après Charles Perrault (1697), la baronne d’Aulnoy (Marie-Catherine Le Jumel de Barneville), avec Serpentin vert (1698) dont le sujet est transposé en Extrême-Orient à travers Laideronnette, Impératrice des Pagodes. Tout en souplesse, cette marche émerveillée conjugue ici rondeur mystérieuse et subtilité des timbres dans une souplesse remarquable, pour un résultat sans doute plus chinois que ravélien – on voyage. Puisé dans Le magasin des enfants, recueil de contes édifiants publié en 1756 par Marie-Barbe Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, d’abord apparu dans La jeune Américaine et les contes marins (1740) sous la plume d’une autre femme de lettres française, Madame de Villeneuve (Gabrielle-Suzanne Barbot), puise dans des sources plus anciennes comme Il re Porco du Bergamasque Gianfrancesco Straparola (Le piacevoli notti, édité à Venise en 1555), entre autres. Le moelleux inouï de la valse marie habilement le contrebasson de la Bête à ses griffes arc-boutée dans les contrebasses. Petteri Iivonen (violon solo) offre une saveur sacrée à l’issue de ces savoureux Entretiens. Une tendre page de cordes conclut dans un bonheur d’abord un peu triste cette suite de savants enfantillages : au Jardin féérique d’alors déployer des charmes bientôt exaltés par Aurélien Sabouret (violoncelle) et Grégoire Vecchioni (alto), pour ne citer qu’eux.

Dès après la création du Rosenkavalier en janvier 1911, Richard Strauss lui avait prélevé une valse qu’il donnait parfois, au fil de l’ici-et-là de ses concerts. En 1944, il s’attelle au vigoureux pot-pourri qui vient parfaire ce concert transmis en direct par France Musique et disponible quelques mois sur le site de la chaîne [lien]. Décidément dans la danse, il s’achève donc en beauté, offrant aux cuivres de s’en donner à cœur joie. Passé cet instant d’éclat, la ferveur mystique de la Présentation de la rose le dispute au sucre goguenard de la chanson de Lerchenau, emportant bientôt l’auditeur dans Ist ein Traum, condensation du fameux duo amoureux de Sophie et Quinquin. Une dernière valse, copieusement tonitruante cette fois, vient clore en patatras une élévation qu’il ne fallait pas prendre trop au sérieux.

BB