Chroniques

par vincent guillemin

Gustav Mahler | Symphonie en la mineur n°6 « Tragique »
Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 19 septembre 2014
Yannick Nézet-Séguin joue la Sixième de Mahler à Paris
© sisi burn

Directeur du Rotterdams Philharmonisch Orkest depuis 2008, Yannick Nézet-Séguin choisit cette fois de jouer à Paris la complexe Symphonie en la mineur n°6 de Gustav Mahler, seconde proposition mahlérienne de sa part dans notre capitale, après une Deuxième de bonne tenue en septembre 2010.

Accueillie très froidement lors de sa création en novembre 1906 à Essen, malgré une décision de dernière minute conduisant le compositeur, inquiet et nerveux, à déplacer le Scherzo après l’Andante, l’œuvre ne convainc pas plus quelques semaines plus tard à Vienne, où le Scherzo a repris sa place initiale. Cette tragische Sinfonie fera d’ailleurs l’objet d’une des plus célèbres caricatures de Mahler : il s’y gratte la tête et semble hésiter entre « klaxon », marteau et cloche de vache pour trouver « la note qui suit » (pour reprendre l’expression d’un certain conférencier polémiste). Elle restera longtemps malaimée des élèves même du créateur, la thématique du héros meurtri qui ne peut échapper au destin ne séduisant ni Otto Klemperer ni Bruno Walter.

Au Théâtre des Champs-Élysées, la formation rotterdamoise est venue au grand complet, afin de jouer l’ouvrage dans ses justes proportions : huit cors, six trompettes et quatre trombones, en plus d’un effectif complet de bois et de cordes, un célesta, deux harpes et un grand nombre de percussions, dont l’énorme marteau pour les deux coups fatals. L’attaque violente des violoncelles de l’Allegro energico donne le ton d’une marche sévère et abrupte, nerveuse par la dynamique plutôt que par la densité. L’orchestre est bien plus en place qu’à d’autres de ses apparitions françaises, mêmes chez les cuivres où de gros écarts (trompette solo dans sa première attaque) ne doivent pas occulter un niveau global bien plus qu’honnête dans une œuvre si complexe. Le second thème (dit aussi « thème d’Alma ») montre un optimisme bienvenu, avant que les deux antagonismes fassent ressortir les beaux bois néerlandais, à commencer par la première clarinette.

Joué dans la succession qui semble la plus conforme à l’idée du compositeur, le Scherzo placé en deuxième position respecte la même rythmique de marche abrupte que le premier mouvement, mais semble ensuite chercher une préciosité peut-être mal adaptée à son esthétique lugubre. Plus lyrique, et même surprenant par rapport à ce que souvent l’on entend avec Nézet-Séguin, l’Andante convainc tant par le rythme allant que par la souplesse de la direction, pour l’occasion bien plus calme et mesurée qu’à l’accoutumé. Le chef canadien se révèle capable d’inspirer la tristesse. Le dernier mouvement – le plus long de Mahler (près de quarante minutes) – débute par un cri que cette baguette maîtrise avec brio ; les percussions sont précises, à commencer par l’excellent premier timbalier et le célesta. La première harpe est admirable et les cuivres restent particulièrement stables, même lorsqu’ils sont bouchés, tandis que le premier violon montre tout son talent dans les soli, et répond avec lyrisme à des bois toujours plus probants.

La saison passée, chef et orchestre avait laissé un goût d’inachevé dans le fliegende Holländer [lire notre chronique du 18 septembre 2013] ; ils reviennent en grande forme pour une lecture sobre et efficace de cette Sixième, dégageant un parfum d’optimisme plutôt que de désespoir. Par ces temps difficiles, que demander de plus !

VG