Chroniques

par bertrand bolognesi

Giuliano Carmignola, entre folie et grâce
ultimes concerti de Vivaldi

Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 19 septembre 2003
le violoniste italien Giuliano Carmignola joue Vivaldi à Ambronay
© dr

Pour sa soirée à l’Abbatiale d’Ambronay, l’Orchestre Baroque de Venise a choisi de faire entendre quelques uns des concerti les plus tardifs de Vivaldi, pages que l’on n’entend pour ainsi dire jamais et dont pourront surprendre la richesse d’invention et les audacieuses licences harmoniques. Interprété avec la générosité coutumière à cette formation, et sans revendication d’une hypothétique authenticité du jeu baroque, ce programme réconcilie les cordes avec une sonorité plus charnelle sans déroger à une exigence de précision et de clarté.

Ouvrant la fête avec l’Allegro un brin cérémonieux du Concerto en ut majeur RV114, vite contredit par un jeu délicatement retenu pour l’Adagio, où déjà l’on remarque la tendresse toute personnelle du luth d’Ivano Zanenghi, les musiciens articulent ensuite une succession de pièces en des modes différents, variant les caractères, exposant un climat sans cesse changeant, développant une histoire toujours renouvelée. Ainsi, après la pompe, est-on saisi par l’âpreté presque glaçante du dialogue entre luth et violoncelle dans le mouvement central du Concerto en sol mineur RV156 qui réserve la surprise contrastée d’un final plus enlevé. Le travail d’équilibre entre les différents pupitres s’avère remarquablement réussi par un Andrea Marcon présent et attentif, continuant de perfectionner la déjà grande qualité de sa proposition au fil du concert. On reste décontenancé par La brièveté toute méditative du Concerto en ré majeur RV121, avant que Giuliano Carmignola nous emporte.

Le violoniste donne deux concerti pour violon, cordes et basse continue, qui viennent clore brillamment la première partie de ce moment. Dès ses premières interventions, le public est suspendu à la moindre note, subjugué, presque hypnotisé, pourrait-on croire, tant par la superbe d’un jeu virtuose à souhait, par l’extrême sensibilité d’un interprétation jamais anodine, dont la légèreté dépasse la frivolité avouée que l’on connaît à ce répertoire, que par le charisme d’un vrai grand séducteur comme il en est peu. Dans le Concerto en si mineur RV386,la sonorité de Carmignola est chaleureuse, souple, et la phrase merveilleusement respirée, répondant à sa manière à la pudeur touchante de l’orchestre. Si le Concerto en ré majeur RV211 invite à la démonstration d’une maestria « estomaquante », l’on s’avoue cependant gêné par quelques approximations dans l’introduction de l’Allegro, un Larghetto un peu précipité par le soliste – qui n’oublie pas de n’en faire qu’à sa tête –, et la virtuosité maladroitement heurtée du final déçoit.

La seconde partie du concert commence de façon à peine tendue, chacun semblant contrôler sa prestation, livrant de ce fait un Concerto en sol mineur RV157 un peu timide, mais tout de suite après un RV127 (ré mineur) totalement décoiffant, avec un Largo central des plus lyriques. Giuliano Carmignola revient pour un Concerto en mi bémol majeur RV257 très charpenté, faisant peu de cas de curieux soucis d’unissons sur les tous premiers pas de l’Adagio. Enfin, il emporte un succès éclatant avec son exécution fabuleusement précise autant qu’échevelée du redoutable Concerto en ut majeur RV177 dont les suraigus et les vocalises laissent le public pantois. Nous entendons ce soir non seulement du grand violon vivaldienmais encore du grand violon « tout court », dont sans se faire prier le maître régale l’Abbatiale de quelques trois bis, avec un orchestre toujours complice et en pleine forme. La folie et la grâce peuvent faire bon ménage.

BB