Chroniques

par bertrand bolognesi

Götterdämmerung | Le crépuscule des dieux
opéra de Richard Wagner

The Metropolitan Opera HD Live / Gaumont Capucines, Paris
- 11 février 2012
Götterdämmerung de Richard Wagner au Metropolitan Opera, New York
© met

Le passionnant envahissement de cent-cinquante cinémas français (Gaumont, Kinépolis, etc.) par Pathé Live et ses directs du Metropolitan Opera [lire notre chronique du 3 décembre 2011] se poursuit avantageusement, ce samedi, avec une représentation remarquable de Götterdämmerung, journée conclusive du Ring. Après un ingénieux Rossignol (Stravinsky) fêté par le public et copieusement salué par la critique [lire notre chronique du 4 juillet 2010], repris du 22 au 27 février à l’Opéra de Lyon, c’est à la vaste légende wagnérienne que Robert Lepage s’est attelé, à la demande de la maison new-yorkaise. Et c’est dans la suite logique du Siegfried diffusé dernièrement que son Crépuscule des dieux gagne les écrans.

Si le temps a passé depuis Erwartung (Schönberg) et les premiers pas du Québécois dans le domaine lyrique, en passant par La damnation de Faust (Berlioz) à Bastille [lire notre chronique du 2 juin 2004], sans doute fut-ce pour maîtriser plus encore l’armada de moyens techniques qu’immanquablement il convoque. Ici, les différents lieux de l’action se succèdent instantanément grâce à un système de larges lattes-écrans, sorte de réflecteurs où sont diffusées des images clairement évocatrices, qu’il s’agisse du feu, d’une cascade du Rhin, du palais des Gibichungen, etc. Loin de se laisser identifier à la bonne vieille toile peinte d’antan à peine « modernisée » en ce qu’un mouvement pourrait désormais l’habiter, ce dispositif ne se limite pas à la seule illustration et voyage discrètement dans l’entrelacs de leitmotive tour à tour nettement cités ou plus subtilement en fusion. La souple mobilité de ses éléments, quasi perpignage chorégraphié, favorise une fluidité d’invention qui fascine. Des moments plus simples n’en sont pas exclus, comme Siegfried recueillant l’eau du fleuve dans le creux de sa main (Acte III Scène 1), ou de plus symboliques, comme Gunther qui du sang du héros en souille le flux (fin de la scène suivante), faisant momentanément du Rhin le touc lamentable des médiocres cupidités familiales. Certaines images s’impriment, comme la Walkyrie déchue avançant amoureusement dans les flammes sur le fidèle Grane, ici poétiquement réduit à une armure articulée d’une troublante « humanité ». Signé Carl Fillion, ce décor de tous les possibles abrite une direction d’acteurs précise (jeux d’une fraîcheur enfantine entre Brünnhilde et Siegfried faisant tournoyer cette brave Nothung, entre autres) qui, pour ne pas révolutionner notre compréhension de la tétralogie – quoique cette mise en scène avance une actualisation de la condition de Nibelungen à travers l’apparent métissage de Hagen, fils d’un Alberich noir, ce qui replace un aspect de la thématique dans le contexte américain –, sert loyalement l’œuvre.

Faudra-t-il encore rappeler qu’il convient de relativiser notre appréciation du beau travail de Lepage à l’aune de tout un appareillage comprenant prises de vue et montage, de même que notre approche de la prestation musicale traverse haut-parleurs et micros ? Ceci étant posé, on reconnaîtra aisément à la distribution de ce soir une rare superbe. Si Waltraud Meier n’en peut mais en Waltraute et si le Gunther d’Iain Paterson, outre qu’il n’est guère stable, semble accuser une nasalisation assez disgracieuse, Eric Owens compose un Alberich remarquable d’un baryton robuste à la granulosité idéale. On retrouve Hans Peter König en un Hagen nettement plus déterminant que celui qu’il campait à Paris ce printemps [lire notre chronique du 3 juin 2011] ; sournois, le personnage révèle peu à peu sa noirceur, et la basse allemande affiche une meilleure forme qu’alors. Le Texan Jay Hunter Morris livre un Siegfried souple qui soigne des attaques expressives jamais heurtées et offre véritablement un physique au héros, un physique de grand Nordique au courage souriant dont se jouent aisément les vilains de l’histoire.

Côté dames, la jeune Wendy Bryn Harmer, quoique présentant un timbre présent et un chant élégamment conduit, ne s’impose pas immédiatement. En cela, elle respecte précisément le rôle, encore effacé, voire mièvre, dans sa première apparition. De fait, son incarnation gagne peu à peu de l’intérêt et finit même par captiver. Sa Gutrune fait donc figure de révélation. La voix est grande (format wagnérien évident – elle a déjà chanté Freia, par exemple –, straussien aussi), agile, d’une homogénéité rare du timbre. Enfin, la Brünnhilde de Deborah Voigt crève l’écran. Voix opulente, couleur enveloppante, quoiqu’usant d’une palette assez restreinte de couleurs, quelque chose de « confortable » nous est donné d’entendre. Pourtant, jamais elle n’est bouleversante, même dans ses nuances les plus travaillées qui, pour le coup, demeurent efficacement « professionnelles » sans atteindre de miracle.

C’est au patron de la Semperoper de Dresde que le Met’ a confié la direction de ce Götterdämmerung. La particularité du Génois est de se montrer à son aise dans des répertoires différents. Sans doute est-il à considérer commeun excellent chef de fosse, ainsi que sa Tosca munichoise nous y invitait il y a deux ans [lire notre chronique du 10 juillet 2010]. Dans un soin comparable, il sculpte son Wagner avec un grand sens du théâtre, déclinant des contrastes prégnants. Il offre également des interludes symphoniques d’une indicible finesse qui dépassent largement le cadre de l’opéra, rejoignant alors un autre aspect de la carrière de Fabio Luisi [lire notre chronique du 22 mai 2011]. De fait, le public retient son souffle durant les deux dernières scènes du l’Acte III, dans une impressionnante qualité de concentration rarement rencontrée.

Les prochains rendez-vous avec The Metropolitan Opera HD Live seront verdiens : Ernani (d’après Victor Hugo), le 25 février, et La traviata (d’après Dumas fils) en avril. Une autre façon de vivre l’opéra, assurément.

BB