Chroniques

par bertrand bolognesi

Ernst Křenek et Arnold Schönberg
Quatuor Petersen, Christine Schäfer

Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 8 janvier 2004
Christine Schäfer photographiée par Oliver Hermann
© oliver hermann

Toujours dans le cycle de concerts Les origines de l'avant-garde, le Musée d'Orsay fait entendre le Quatuor Petersen dans une rareté : l’Opus 6 d’Ernst Křenek, poursuivant ainsi l’exploration du répertoire « Entartete Musik ». Křenek est un viennois né avec le siècle dernier dans une famille tchèque, qui dut quitter l’Autriche en 1937 pour survivre à l’avènement du nazisme. C’est Franz Schreker qui le forma à la composition, mais si se manifeste encore dans sa musique le lyrisme du maître, une personnalité beaucoup plus tranchée et même violente s’y dessine. Il est l’auteur de nombreux quatuors à cordes, mais on le connaît surtout pour le plus célèbre de ses opéras, Jonny spielt auf, intégrant des influences diverses qui ne lui valurent pas que des amis (ouvrage à l’affiche à Staatsoper de Vienne, cet hiver).

L’interprétation des Petersen s’avère extrêmement contrastée et fort justement violente. En huit mouvements enchaînés, l’œuvre propose une sorte de voyage dans un chaos intérieur où l’enthousiasme succède à la rage, jamais à une mélancolie passive. Cette page renferme quelque chose d’à la fois constructif et destructeur, comme en chacun de nous : nous sommes bien en 1921, cette musique est contemporaine d’une diffusion plus large des recherches de la théorie de Freud. Si le penseur fut un novateur dans son domaine, il portait une appréciation étonnamment conservatrice et dubitative sur les objets artistiques modernes ; cependant, le Premier Quatuor de Křenek semble apporter une évidente caution à la psychanalyse, de même que la production de peintres comme Oscar Kokoschka, par exemple. Le lyrisme à y poindre parfois trouve ici à s’exprimer dans les choix de sonorité plutôt que dans des aléas de tempo.

Treize ans plus tôt, Arnold Schönberg achevait son Quatuor Op.10 n°2, mal reçu par un public dont en 1908 il bousculait les habitudes. Cette œuvre, qui marque la frontière entre deux phases du chemin du compositeur viennois, convoque un soprano qui vient rejoindre les quartettistes pour donner deux poèmes extraits du cycle de Stefan George, Le septième anneau. Christine Schäfer chante Litanei et Entrückung, leur prêtant un instrument à son zénith. Elle habite chaque vers en artiste sensible et intelligente. De la même manière qu’elle s’appropria merveilleusement le rôle de Lulu, elle impose ce soir une lecture personnelle qui s’appuie sur une fidélité et une précision peu courantes, sachant autant fondre le timbre de sa voix dans ceux des instruments qu’affirmer une charge émotive où il le faut. Ces œuvres et les cinq artistes qui les servent obtiennent le silence : nulle toux, nul chuchotement ; le public est absorbé par la musique.

BB