Chroniques

par gilles charlassier

eeemerging : à la découvertes de quatre jeunes ensembles
Concerto di Margherita, Continuu-m, Il Quadro Animato et La Voce strumentale

Festival d'Ambronay
- 7 et 8 octobre 2017
la jeune et talentueuse violoniste islandaise Elfa Rún Kristinsdóttir
© tim mintiens

Plateforme désormais incontournable du répertoire baroque, jusqu'aux confins du préromantisme, le Festival d’Ambronay a, depuis plusieurs années et en partenariat avec sept autres institutions européennes investies dans la défense des musiques anciennes, initié le réseau eeemerging qui s'attache à soutenir les ensembles émergents au sein du Vieux Continent. Ce programme fait désormais entendre, en clôture d’édition, une sélection de sixjeunes formations. En parallèle à l'évaluation des professionnels, les mélomanes sont invités à élire leurs favoris.

Des quatre consorts entendus samedi après-midi et dimanche matin se dégage une indéniable diversité. Dans un spicilège de musique instrumentale du settecento, de Johann Quantz (1697-1773) à Ernst Wolf (1735-1792) – duquel on retiendra l'Andante délicat du Quatuor en sol majeur Op.2 n°3 – en passant par Johann Gottlieb Janitsch (1708-1763) et Carl Joseph Toeschi (1731-1788), Il Quadro Animato s'attache à rehausser l'intérêt par un jeu investi et stylistiquement renseigné, à peine entaché par quelques menus réglages en début de concert.

Entre Venise et Ferrare, au croisement de la Renaissance et du Baroque, le voyage dans le corpus madrigalesque proposé par Concerto di Margherita n'a sans doute pas autant besoin de la béquille virtuose pour mettre en avant sa valeur. L'entrelacs entre pièces vocales et intermèdes instrumentaux esquisse des affinités subtiles dans cette déclinaison des heurts et malheurs amoureux. Si l'on ne peut faire l'impasse sur Monteverdi, on entendra aussi Kapsberger ou Frescobaldi, hors de leurs génie claviériste, Luzzasco Luzzaschi (ca.1545-1607) ou Giaches de Wert (1533-1596). De ce dernier, la gambiste Giovanna Baviera joue des diminutions de son cru sur Cara la mia vita, en prélude au madrigal lui-même. On saluera par ailleurs le talent polymorphe des cinq musiciens de l'ensemble, à la fois au chant et à l'instrument.

Le lendemain, La Vaghezza, qui recevra le plus grand nombre de suffrages de la part des auditeurs, réunit Biber, Bach et Vivaldi. Du premier, la Partita en si mineur n°2, tirée de l'Harmonia Artificioso-Arioso, dévoile un sens confirmé de la couleur expressive que l'on retrouve dans la Sonate en sol mineur RV 73 n°1 de l’Italien. La Sonate en trio en ut majeur BWV 529 du Cantor de Leipzig confirme l'instinct musical des quatre interprètes qui referment leur récital sur un Largo de Purcell.

On pourra cependant être plus sensible à l'originalité de Continuu-m, mêlant habilement la création contemporaine au baroque allemand. Après une Sonate en ut majeur de Johann Pisendel (1687-1755), initialement attribuée à Bach sous le numéro d'inventaire BWV 1024, et la cantate Zu guter Nacht de Gottfried Stölzel (1690-1749), le violon d'Elfa Rún Kristinsdóttir [photo] exhale les variations sur l'attaque de l'archet baroque détaillées par le camaïeu du Vivace n°1 de Salvatore Sciarrino, à la fois idiomatique de celui-ci et intégré avec naturel dans le programme. Suit un air de The Fairy Queen de Purcell, Ye gentle spirits of the air, par Marie Luise Werneburg, soprano à la voix un peu acidulée qui sait tirer parti des ressources du texte, ce que ne démentiront point les deux autres pages de Bach qui lui reviennent, Auch mit gedämpften BWV 36 et Angenehmer Zephyrus, extraite du BWV 205, entre lesquelles s'intercalent la Sonate en la mineur n°1 de Johann Paul von Westhoff (1656-1705) et le Traumwerk 5 de James Dillon (né en 1950).

Le week-end et le festival s'achève sur Le quattro stagioni de Vivaldi, revisitées par Dmitry Sinkovsky et son ensemble La Voce strumentale. À la fois violoniste et contre-ténor, l’artiste russe excite l'oreille des mélomanes par un talent qui donne l'illusion d'être sans limite. La plasticité des couleurs et dynamique du cycle de concerti a beau avoir déjà été ouï par ailleurs – différemment, certes, mais selon le même graduel expressif –, son sens du pittoresque ne manque pas d’effet sur l'auditoire. Ne le démentit pas la cantate Cessate, omai cessate RV 684, qui verra le prodige passer de l'archet au gosier et à la direction à main nue. Le Concerto pour luth en majeur RV 93 et celui pour violon en mineur RV 242 confirment ce magnétisme des gâteries musicales, qui s'attardera sur une série de bis où ne se fera guère d'infidélité à Vivaldi.

GC