Chroniques

par jérémie szpirglas

Drei politische Reden de Manfred Gurlitt
La Haine de Jacques Offenbach

Festival de Radio France et de Montpellier / Opéra Berlioz, Le Corum
- 19 juillet 2009

C’est une constante du Festival de Radio France et de Montpellier : chaque année, on y joue des œuvres méconnues, injustement ignorées ou complètement inédites. Ce soir, ce n’est que ça. À commencer par les Drei politische Reden de Manfred Gurlitt. La vie de Gurlitt a quelque chose de tragique, comme un destin raté, sur lequel le sort s’acharnerait inconsidérément. Sa carrière est une série ininterrompue de revers, d’échecs et de timing malheureux. En 1926, par exemple, il met la dernière main à ce que beaucoup considèrent comme son chef-d’œuvre : un opéra intitulé Wozzeck, d’après Büchner, qui sera naturellement totalement (et assez justement) éclipsé par celui de Berg, créé quelques mois plus tôt. Un peu plus tard, Gurlitt voit en son nouvel opéra, Nana, sur un livret de Max Brod d’après Zola, l’occasion de remporter le succès qu’il n’a pas eu avec Wozzeck. Hélas, nous sommes en 1933, les nazis sont au pouvoir et, non seulement Max Brod est juif, mais Manfred Gurlitt est lui aussi issu d’une famille juive intégrée. Comme beaucoup d’autres, sa musique est taxée de dégénérée et interdite d’exécution. Si, en conformant son style aux exigences esthétiques du régime, il parvient à vivre relativement tranquille, il est forcé d’émigrer en 1939. Il choisit le Japon qui l’accueille à bras ouverts en tant que chef d’orchestre et pédagogue, sans reconnaître ses talents de compositeur.

Pour ses Trois Discours Politiques, composés en 1946, Gurlitt s’inspire à nouveau de Büchner et de la pièce La Mort de Danton (Dantons Tod) qui brosse un portrait complexe et fascinant de cette figure emblématique de la révolution. Pour baryton, chœur et orchestre, la partition met en scène Danton face au tribunal révolutionnaire qui réclame sa mort. Les deux premiers discours sont ceux de Saint-Just et Robespierre, qui justifient tour à tour le bain de sang de la terreur au nom de la révolution et des valeurs de liberté qu’elle défend. Le baryton – à la ligne vocale agitée, ponctuée d’accents violents et de sauts d’intervalles impétueux, à la limite atonaux – y est accompagné par un orchestre hautement expressionniste, hélas ici desservis par la baguette indécise d’Enrico Delamboye à la tête de l’Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon. Le troisième discours est la réponse faite par Danton au tribunal (figuré par un chœur d’hommes à l’intransigeance aveugle). Gurlitt l’accommode d’une musique plus opératique et d’un orchestre pointilliste et efficace – avec, au passage, de savoureux mariages de timbres. À la fin de ce superbe troisième discours, qui suspend l’action en même temps que la séance, on se prend à rêver que Gurlitt eut fini ce qu’il n’a qu’entamé et qu’il fût allé jusqu’au bout de son projet de mettre en musique la pièce de Büchner.

Vient ensuite ce qui est annoncé comme l’événement de la soirée, une autre redécouverte, plus étonnante encore : la musique de scène d’Offenbach pour La Haine, drame de Victorien Sardou, une œuvre au ton sombre et pessimiste tout à fait inattendu pour l’auteur de La Belle Hélène et des Contes d’Hoffman. En réalité, si elle est aussi inattendue, c’est justement parce que cette pièce tragique (dont la trame politico-historique peut rappeler celle d’un Simon Boccanegra mâtiné de Roméo et Juliette) est la dernière du genre qu’Offenbach ait composé. L’accueil mitigé qu’elle reçut décida ce comique au tempérament de tragédien à se cantonner à la bagatelle.

Dans la recréation dont elle fait ici l’objet, le problème n’est ni intrinsèquement musical – certains passages sont admirables de justesse et d’émotion, notamment celui, au cœur du drame, qui accompagne la prière de l’Angélus – ni dramatique. Le texte monumental de Sardou, réduit pour l’occasion pour quatre comédiens (une récitante et trois acteurs pour les personnages principaux), manque cruellement de rythme, et le quatuor parlé, aussi exceptionnel soit-il – avec Fanny Ardant, Dörte Lyssewski, Gérard Depardieu et Farida Khelfa –, ne convainc pas, ne trouvant le ton adapté qu’au dénouement. Bref, on s’ennuie, et la complaisance mélancolique dans laquelle Offenbach se perd trop souvent n’arrange pas la chose.

JS