Chroniques

par arvid oxenstierna

Donaueschinger Musiktage 2019 – épisode 2
création de Poética del espacio d’Alberto Posadas

Sylvain Cambreling dirige Klangforum Wien
Donaueschinger Musiktage / Donauhallen
- 19 octobre 2019
Sylvain Cambreling dirige Klangforum Wien aux Donaueschinger Musiktage 2019
© ralf brunner | swr

Après la grande soirée d’inauguration de son édition 2019 [lire notre chronique de la veille], suite des Donaueschinger Musiktage avec ce concert de Sylvain Cambreling à la tête d’un très bon ensemble tout dévoué à la musique d’aujourd’hui : Klangforum Wien [lire nos chroniques des 21 octobre, 8 septembre, 24, 23, 21 juillet, 29, 28 et 27 avril 2018, du 20 juin 2014, du 18 mars 2013, des 29 septembre et 12 mai 2010, du 5 février 2009, du 12 juin 2008, du 23 mai 2007 et du 31 mai 2006]. Il est onze heures du matin et, dans la salle Mozart du Donauhallen, nous découvrons la nouvelle œuvre d’Alberto Posadas, Poética del espacio, donnée en première mondiale.

Quatre pièces forment un cycle que le compositeur espagnol articule à l’aide de quatre intermezzi. Ils représentent le mouvement qui mène les musiciens vers le plateau – de l’individu à l’ensemble – dans une notion personnelle de la spatialisation, ne faisant pas appel à l’électronique. Tout a été conçu en étroite collaboration avec les instrumentistes de l’ensemble autrichien. Au fil du travail, des instruments de percussion spécifiques durent être fabriqués. Le titre emprunte au philosophe français Gaston Bachelard (La poétique de l'espace, 1957) dont le propos inspire principalement le cinquième des sept mouvements qui s’enchaînent en près de quatre-vingts minutes. « Le livre fut très important dans les premières étapes de mon processus compositionnel, pour la relation entre espace et musique dans la perspective de ce que l’analyse de certaines structures architecturales offre au compositeur. La façon qu’avait Bachelard de lire l’espace dans l’idée de l’expérimenter, selon une approche phénoménologique du réel, a été l’impulsion de ce cycle. J’ai axé cette œuvre sur la dimension poétique de l’expérience de l’espace », explique Posadas (brochure de salle). De ces réflexions est née une suite qui utilise le mouvement du son afin d’éprouver la relation en espace et musique et la perception qu’en a l’auditeur.

Tout commence avec Trayectorias, une page que Peter Rundel a créée de façon isolée, à Genève le 16 novembre 2018, avec l’ensemble Collegium Novum. L’effectif est scindé en deux groupes assez éloignés physiquement. En chacun d’eux les événements musicaux sont effectués par des sous-groupes qui balisent l’espace dans l’écoute. Le jeu sur les modifications de tempo s’ajoutent à ce placement spécifique et sculptent la perception au delà de la disposition en scène. Un premier Intermezzo fait le lien avec Ers en proposant une autre géographie de l’ensemble instrumental. Dans ce deuxième volet, on a des éléments qui s’échangent furtivement par-dessus un socle sonore qui paraît fixe. Après deux intermezzi de transition, Umbrales evanescentes se présente comme un concerto dont les solistes sont la saxophone, le cor, la trompette et la trombone – respectivement Gerald Preinfalk, Christoph Walder, Anders Nyqvist et Mikael Rudolfsson. Mais les timbres de ces instruments solistes se marient subtilement afin de créer d’autres natures instrumentales que l’ensemble développe aussitôt. Ce travail des plus raffinés sur l’identité organologique brise le rapport habituel entre une partie soliste et un orchestre : ils interagissent à tel point qu’on ne percevoir plus avec certitude qui joue quoi. On peut parler d’un modelage de l’espace sonore, à l’origine d’un expérience novatrice de l’écoute. Après Intermezzo IV, Ojo del Diablo crée une espèce de vertige par l’accumulation progressive de tous les timbres dans une organisation temporelle insaisissable.

Avec cet art bien à lui de la couleur et une exigence de tonicité presque paradoxale, Alberto Posadas livre une œuvre à la texture passionnante [lire nos chroniques de Cuatro escenas negras, Glossopoeia, Tres pinturas imaginarias, Magma et Sombras]. Elle déroute beaucoup et déjoue les repères.

AO