Chroniques

par hervé könig

Donaueschinger Musiktage 2017 – épisode 3
créations d'Eimermacher, Saunders, Schüttler et Verunelli

Donaueschinger Musiktage / Donauhallen
- 21 octobre 2017
Man sitting at the piano, nouvel opus de Francesca Verunelli, à Donaueschingen
© dr

Avec deux concerts joués à trois reprises à divers horaires de ce samedi, l’édition 2017 des Donaueschinger Musiktage innove. Pour nous, la journée commence à 14h, Salle Igor Stravinsky (Donauhallen), avec un rendez-vous chambriste d’une petite heure durant laquelle les musiciens de l’ensemble Ictus donnent quatre pièces en première mondiale (toutes commandes du Südwestfunk).

À l’occasion de la création de Play, Cinemaolio et Déshabillage impossible, nos colonnes ont présenté le travail de Francesca Verunelli [lire nos chroniques du 23 octobre 2010, du 20 juin 2015 et du 14 février 2016]. La compositrice italienne s’est formée à Florence avant d’aller parfaire son art à l’Ircam où mes confrères la découvraient. Man sitting at the piano I (Homme assis au piano) pour flûte et piano mécanique explore un élargissement des capacités traditionnelles de l’instrument, à l’instar des pages pionnières que John Cage dédiait au piano préparé. L’attaque est franche et donne l’illusion d’un traitement électronique, alors qu’il n’en est rien. Un motif tournoie entre les inserts obstinés de la flûte (Michael Schmid), souffle en chute, et les artefacts insistants du piano, avec une tonicité très stimulante. Des effets d’échos presque aquatiques, par moments, font place à une fragmentation brève, en sonneries successives, enrichies d’incursions silencieuses à la faveur desquelles les deux solistes tendent à se désolidariser. « Pour moi, explique Verunelli [photo], les conséquences les plus importantes sont dans le domaine du temps, la manière dont nous pensons et percevons les notes » (brochure de salle). La complexité rythmique est donc de la partie, notamment dans la boucle quasiment percussive du piano mécanique lorsque surgit un embryon mélodique à la flûte. Machine et instruments se retrouvent alors dans une volière frénétique, puis la fragmentation opère à nouveau, ne laissant plus paraître que des signaux du matériel initial dont la mort est poétiquement scandée. L’œuvre aurait gagné sans la dernière section en apothéose répétitive, d’environ deux minutes.

James Saunders est un musicien de l’expérimentation, né à Londres en 1972. Adepte de la forme ouverte, il s’intéresse aux comportements au sein d’un groupe, celui constitué par des instrumentistes pouvant être le reflet de nombreux autres, dans la communauté humaine. Il a suivi les cours de Darmstadt puis fut distingué lors des Journées d’Ostrava, festival silésien d’avant-garde. know that your actions reflect within the group (sachez ce que vos actions renvoient au sein du groupe)se penche sur la prise de position dans un cadre collectif, mue par des contraintes qui se connectent consciemment ou inconsciemment au détour de certaines situations. « Dans cette pièce, les exécutants suivent trois éléments : des bribes de mots, des instruments ajoutés et des drones. […] ce qui les oblige à osciller entre différents principes de réponses et à effectuer plusieurs tâches en même temps. […] La densité, la vitesse et la composition de ces signaux provoquent une variété de stress cognitif », précise Saunders. À en lire le préambule, cela semble presque plaisant. L’entendre est une autre histoire… Les instrumentistes s’amusent comme des petits fous avec les onomatopées de tous les animaux de la ferme, canard, poulet, âne, cochon et même bébé compris, sans oublier les couinements de jouets pour chien. L’auditeur, quant à lui, rêve d’une bonne bière.

Remarquée à Royaumont pour Rollende Wolken gezogener Flügel [lire notre chronique du 11 septembre 2010], l’Allemande Hanna Eimermacher (née en 1981) fut élève de Mark Andre, Pierluigi Billone, David Felder, Beat Furrer et Younghi Pagh-Paan, à Graz, Francfort et Buffalo (USA). Elle enrichit plus tard son cursus auprès de Georges Aperghis, Chaya Czernowin, Liza Lim et Rebecca Saunders. Elle a construit CUT à la suite de plusieurs rencontres immersives avec les membres d’Ictus dont elle a souhaité approcher les caractères musicaux. En février dernier, des essais ont été effectués afin d’élaborer cette nouvelle pièce. Ainsi, après le dialogue avec la machine (Verunelli) puis celui entre les musiciens (Saunders), Eimermacher aborde la communication avec le public, dans un dispositif performatif où la proposition sonore est insécable d’une dimension visuelle chorégraphiée. Parfois saturés, les jeux glissando en micro-intervalles plafonnent vite en un magma planant d’une extrême pauvreté, défendu par neuf performers qui semblent convaincus…

Quant à My mother was a piano teacher (Ma mère était professeur de piano) de Martin Schüttler (né à Kassel en 1974), pour ensemble instrumental extérieur et deux modérateurs en scène, avec écran interactif, c’est un sujet sur lequel il vaudra mieux se taire. Gardons foi en la nouvelle génération de compositeurs, tout de même !

HK