Chroniques

par vincent guillemin

Dmitri Chostakovitch par Valéry Gergiev
Symphonies Op.47 n°5 et Op.135 n°14

Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg
Salle Pleyel, Paris
- 2 décembre 2013
Valéry Gergiev joue les 5ème et 14ème Symphonies de Chostakovitch à Pleyel
© alexandre chapounov

Dans la continuité des intégrales Mahler, Prokofiev, Brahms et Szymanowski, Valéry Gergiev reprend son cycle Chostakovitch débuté la saison dernière à la Salle Pleyel avec son Orchestre du Théâtre Mariinski. Au programme de cette deuxième journée de décembre, la rare Symphonie n°14 pour orchestre de chambre et solistes [lire notre chronique du 13 septembre 2003 et notre critique du CD], et la Cinquième, plus jouée.

Suite aux réprimandes du régime soviétique qui conduisirent à modifier et aseptiser sa technique de composition à partir de la Symphonie Op.43 n°4, et après une verve compositionnelle très marquée par la guerre, Dmitri Chostakovitch achève son cursus de symphonies et de quatuors avec une pensée obsédante vers la mort, une mort qui n’est plus celle des révolutionnaires (Symphonie Op.103 n°11 « 1905 ») ni des victimes de la guerre (les Septième et Huitième) mais le concept où toute vie s’achève, à commencer par celle de l’artiste lui-même, déjà bien malade lors de la composition de sa Symphonie en sol mineur Op.135 n°14. Prévue comme un cycle de chants orchestrés, elle devient finalement symphonie, quand Mahler avait longtemps hésité pour son Lied von der Erde auquel on pense à de nombreuses reprises dans l’œuvre slave, postérieure de soixante années.

Nous étions habitués à ce que Gergiev entre avec force dans les œuvres, mais, depuis le début de cette série, il est étonnamment froid et distant. Vraisemblablement bien plus choisie que contrainte, cette direction permet de faire ressortir de très beaux moments, certes, en utilisant avec poids les contrebasses à l’opposé de la superbe clarté des percussions, et en créant une ambiance très aérienne dans la quatrième mélodie, Le suicidé, sur l’un des poèmes de Guillaume Apollinaire ici chanté en russe. Pourtant, des cordes ternes et une lenteur exempte de tension conduisent à un certain ennui, d’autant que l’opus, d’une grande complexité, reste beaucoup moins accessible que les ancêtres moussorgskiens et mahlériens qui l’inspirèrent. Mikhaïl Petrenko fait exactement même impression qu’Evgueni Nikitin dans Berlioz quinze jours plus tôt [lire notre chronique du 17 novembre 2013], laissant oublier son Orest médiocre à Aix [lire notre chronique du 22 juillet 2013] grâce aux graves qu’il possède profonds dans une vraie tessiture de basse. Malheureusement, les médiums fatigués et les aigus quasiment inexistants ne permettent pas de soutenir avec toute la puissance nécessaire l’intégralité de sa partie, là où le soprano Veronika Djoeva s’en sort mieux, malgré une prononciation qui manque de netteté et une technique vocale en fond de gorge limitant l’impact de l’aigu. Elle chante avec conviction les textes de García Lorca, Apollinaire et Rilke, sans toutefois transmettre pleinement l’expressivité relative à l’état d’esprit du compositeur qui murit sa partition en janvier 1969, à l’hôpital.

Beaucoup plus massive, la Symphonie en ré mineur Op.47 n°5 utilise tout l’effectif de l’orchestre. Elle confirme les impressions précédentes : le son est toujours acéré au niveau des cordes et les cuivres possèdent une acidité bien particulière, mais les couleurs ne sont pas russes et boisées comme celle du Philharmonique de Saint-Pétersbourg et moins encore que celles des anciennes formations d’État d’URSS. Le grain plus international prouve que la mondialisation a également gagné le jeu des musiciens et leurs références culturelles, à l’instar du timbre actuel des Berliner Philharmoniker. La direction est, cette fois encore, distanciée par rapport à cette page puissante et dynamique dont rien, ce soir, ne « décolle » jamais réellement, même si l’Allegro non troppo (quatrième mouvement) respecte parfaitement le fortissimo initial. La profondeur de l’œuvre ne ressort qu’à la fin du premier épisode et surtout lors de la sublime intervention du flûtiste dans la seconde moitié du Largo.

Loin de démériter, ces interprétations apportent peu de nouveauté et font regretter la mode des intégrales qui prend le pas sur l’intérêt des ouvrages en tant qu’objets uniques, composés chacun à une époque et dans un climat précis. De par son rôle historique, le support audio semble plus propice à proposer l’ensemble des œuvres d’un même compositeur ; à l’inverse, le concert devrait rendre consubstantielle l’unité de chacune d’elles sans systématiser la lecture à un exposé globalisant.

VG