Chroniques

par françois cavaillès

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra de Marseille
- 24 septembre 2019
Numa Sadoul met en scène "Die Zauberflöte" (Mozart) à l'Opéra de Marseille
© christian dresse

O so eine Flöte (Oh, une telle flûte)... Ainsi voudrait-on rejoindre dans l’extase le quintette du premier acte de Die Zauberflöte, glissant du ton facétieux de l’opéra bouffe vers les délicieux alliages de timbres, d’une beauté frappante, qui font reconnaître encore, par divine surprise, l’art de Mozart. En l’an 1791, chaque jour est noirci de musique par le compositeur attelé à raviver à l’opéra l’espoir d’une victoire de la vie sur la mort. Avec simultanément Die Zauberflöte à Vienne et La clemenza di Tito à Prague, le gourmand préfère donner le bras à ses deux créatures de rêve que prendre l’appel de la Faucheuse. Avide de créations lyriques, le cœur en fête infinie franchit à vive allure la ligne d’arrivée, les publics en liesse, et ultimement se meurt à l’ouvrage (Requiem, étrange commande), enfin bien aimé de tous, brillant pour toujours mais trop loin de nous.

Cet éclair éblouissant d’esprit libre et vivant est introduit à l’Opéra de Marseille par Lawrence Foster et l’orchestre maison en faisant d’abord durer le plaisir des premiers instants de l’Ouverture du fameux Singspiel. Refoulé le cuivre des trois accords initiaux, si longue et lente paraît la tension... menant à la fugue inarrêtable : sitôt lancés, le charme guilleret et le souffle picaresque peuvent continuer toute la nuit, à la rencontre des personnages si particuliers et de leur chant.

Loin d’une galerie de portraits à la sauvette, les rôles se distinguent comme les pièces d’un puzzle fort astucieux. À commencer par la Pamina rayonnante d’Anne-Catherine Gillet, soprano d’une belle amplitude et au vibrato ravissant [lire nos chroniques de Don Giovanni, Le domino noir, Pelléas et Mélisande, Faust et Madame Favart], et par le Tamino de Cyrille Dubois, scintillant ténor léger, parfois affecté ou grandiloquent dans ses airs mais toujours fin musicien et acteur impeccable, qui évite le piège du prince charmant de pacotille [lire nos chroniques de Street Scene, Lakmé, Le roi Arthus, Mitridate, Trompe-la-mort et Les Huguenots]. Voici la dernière danse, impressionnante, animée par un auteur déchu, ruiné et affaibli ; à même de représenter la vitalité mozartienne en joyeux clown prestidigitateur, l’oiseleur de Philippe Estèphe, baryton capiteux et siphonné, nous montre comment l’homme affligé repart à l’assaut, marginal assumé et confiant en l’amour des autres.

Sur la crête lyrique domine la Reine de la nuit, à nouveau réussie par le soprano Serenad Burçu Uyar, forte d’accents bien placés et de vocalises hissées haut [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Lucia di Lammermoor, Les contes d'Hoffmann et Les pêcheurs de perles]. La marche des Prêtres, par le baryton-basse Guilhem Worms [lire nos chroniques d’Iliade l’amour et d’Ariadne auf Naxos] et la basse Frédéric Caton, en juste Orateur, est un régal, ainsi que l’étourdissant duo des Hommes d’armes à l’orée du dernier tableau. Tout au long de ses interventions marquantes, le Sarastro de Wenwei Zhang, à la technique admirable, se montre sépulcral et particulièrement lyrique pour le bouleversant In diesen heiligen Hallen [lire nos chroniques d’Andrea Chénier, Il barbiere di Siviglia, Il trovatore et Boris Godounov]. Dans ce même registre sobre et transcendant excelle le Chœur de l’Opéra de Marseille, en particulier pour l’air des esclaves Das klinget so herrlisch. Parmi ces grotesques besogneux, le Maure Monostatos est des meilleurs, grâce au jeu comique et agressif du ténor Loïc Félix [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Roméo et Juliette et Die tote Stadt]. Toute aussi exubérant, le mezzo Caroline Meng plaît beaucoup en Papagena [lire nos chroniques de Don Giovanni et d’Egisto]. Les jeunes cantatrices l’emportent sur toute la ligne avec trois Dames bien unies, grimaçantes ou badines : Anaïs Constans, soprano de timbre et de projection remarquables, Majdouline Zerari, mezzo à la valeur sûre, et Lucie Roche, mezzo languissant et d’un grave quasi-animal. Bravo pour leur harmonie dans le merveilleux quintette. Issus de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, les trois Garçons, bien accordés lors de leur présentation à Tamino, assurent la couleur vocale essentielle au récit initiatique.

Dans la mise en scène de Numa Sadoul [lire nos chroniques de Madama Butterfly et d’Orphée et Eurydice], la part d’enfance est primordiale. Le drame est clairement encadré par le jeu des bambins, du début à la fin, de la magie primitive (à fouiller une vieille malle pour y trouver des habits de super-héros) à la chute du rideau sur le cérémonial d’une secte mystérieuse qui place les petits en pleine lumière. Tout comme l’ordre des événements parfois légèrement révisé aux fins d’une logique plus rationnelle, les costumes étincelants, voire hallucinants, de Pascal Lecocq, également auteur des décors moins expressifs, font sens en soulignant l’opposition binaire des protagonistes, selon leurs sensibilités. Sans négliger le symbolisme maçonnique, la fluidité théâtrale est très appréciable. Le spectacle prend forme de belle étrenne, si bien qu’on pourrait emprunter outre-Rhin la tradition de donner aux fêtes de fin d’année ce Singspiel de galopin.

FC