Chroniques

par vincent guillemin

Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner

Grand Théâtre, Genève
- 16 novembre 2013
Die Walküre dans la mise en scène de Dieter Dorn au Grand Théâtre de Genève
© carole parodi | gtg

La programmation 2012-2013 a proposé tant d’opéras de Wagner dans le monde que nous en oublierions presque le nouveau Ring en cours au Grand Théâtre de Genève. Débuté l’hiver dernier par Das Rheingold [lire notre chronique du 9 mars 2013], il s’achève en journées séparées cette saison-ci pour conclure par deux cycles complets en mai prochain. Pour réussir son pari, le directeur Tobias Richter s’est entouré d’une distribution qu’il connaît bien puisqu’elle est presque intégralement issue des maisons allemandes, de Düsseldorf et ses environs (où il officiait auparavant) ; c’est donc ailleurs qu’il faut chercher la nouveauté : chez le prometteur Ingo Metzmacher.

Pour cette dernière des quatre représentations de Die Walküre en novembre, le chef est déjà en fosse plus de quinze minutes avant le début du Vorspiel et y reste pendant le premier entracte, faisant répéter jusqu’au bout un Orchestre de la Suisse Romande honnête mais que l’œuvre met en difficulté. La fosse reste en effet toujours voluptueuse sans jamais pouvoir proposer plus, tant la force lui manque, malgré plus de soixante-dix musiciens, soit largement l’effectif minimum imposé par Wagner. Les couleurs des pupitres ne sont pas très caractéristiques, mais rien ne pèche réellement, à part les cors, souvent sollicités. Au deuxième acte surviennent des complications et toute sa seconde moitié montre la fatigue des musiciens, alors que le chef reste dans une parfaite concentration. Il réussit par la suite à sublimer les principaux leitmotivs de l’Acte III, dont celui de l’amour, qu’on entend une seule fois pendant le duo entre Brünnhilde et Wotan. Comme pour Rheingold, Ingo Metzmacher adopte une lecture chambriste ; il reste à un niveau sonore relativement faible dans tout le premier acte et ne propose que rarement de véritables instants de force. Cette approche vraiment fine déclencherait plus de passion si elle ne manquait quelque peu d’ampleur et de force narrative.

Relativement similaire à celui du prologue, le cast révèle toujours l’impeccable Fricka d’Elena Zhidkova, l’une des valeurs les plus sûres de la scène wagnérienne actuelle. Michaela Kaune tient très honorablement la partie de Sieglinde, même si elle n’a pas tout à fait la voix du rôle et joue entre deux tessitures. Will Hartmann est un Siegmund très correct, mais ne possède aucune couleur de Heldentenor et manque de vaillance face au puissant Hunding de Günther Groissböck [lire notre entretien]. Plus à l’aise en Kundry qu’en Brünnhilde, Petra Lang persuade grâce à son engagement et à un chant maîtrisé, moins forcé qu’à l’accoutumé : elle s’unit parfaitement aux belles voix des Walkyries, parfaitement homogènes tant par le jeu que par le chant. Enfin, Tom Fox domine mieux son Wotan que dans Rheingold ; il manque certes de graves, de souffle, et d’un allemand compréhensible, mais porte jusqu’au bout sa partie et tient le public attentif pendant tout le monologue du II, malgré une mise en scène insipide.

Car si cette Walküre n’est guère intéressante, c’est surtout à cause de la proposition scénique. Alors que nous attendons toujours la reprise de la magnifique production strasbourgeoise de McVicar [lire notre chronique du 2 mai 2008], Genève a décidé comme Paris de faire cavalier seul, confiant la création au vétéran Dieter Dorn – il réalisa Ariadne auf Naxos à Salzburg en 1979 – et les décors à Jürgen Rose. Tout se passe dans des tons gris-noirs, le déplacement à vue des éléments de décor (panneaux, miroirs, rocher de Brünnhilde, marionnette du cheval Grane) est effectué par des accessoiristes visibles. Aucune autre proposition, si ce n’est que chaque acte commence par les Nornes roulant leur pelote comme symbole de continuité narrative. Signé Tobias Löffler, le travail des lumières est d’un meilleur niveau et parvient par moments à faire oublier des costumes sans intérêt, tout le monde chantant en jeans et bustes vêtus un peu à la manière des Indiens d’Amérique. Sans être novatrice, la dramaturgie d’Hans-Joachim Ruckhäberle est efficace et fait évoluer les personnages sans tomber dans les travers caricaturaux parfois liés à l’œuvre.

Die Walküre rassure en partie quant à la bonne tenue de ce Ring, même s’il faudra la confirmer avec Siegfried, malgré une distribution exempte de star (chef excepté).

VG