Chroniques

par katy oberlé

Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner

Opera North / Royal Festival Hall, Londres
- 29 juin 2016
Peter Mumford met en espace la Tétralogie de Wagner à Londres, juillet 2016
© clive barda

Si la première soirée wagnérienne du cycle londonien n’a pas déçu [lire notre chronique de la veille], nous quittons la deuxième avec le sentiment d’avoir assisté à quelque chose de tout à fait exceptionnel. Ne croyez surtout pas ce que vous disent certains wagnérolâtres qui statufient tout vivant quelques stars entendues sur la scène continentale : loin de répondre à des définitions stupides – de type « le meilleur titulaire du rôle à l’heure actuelle » ou « le seul véritable Wotan d’aujourd’hui », voire « l’unique Tristan digne de ce nom » et autres fadaises –, les chanteurs de cette Walküre honorent parfaitement leur contrat.

En témoignent des prestations de haut niveau musical et vocal, surpassant largement ce qu’on en attendait. À commencer par un octuor de guerrières comme on en n’entend que très rarement ! Avec plaisir on retrouve la bien chantante Giselle Allen luxueusement distribuée en Gerhilde. Nul faux pas dans cet aréopage virginal dont il faut applaudir tout autant Fiona Kimm (Grimgerde), Kate Valentine (Ortlinde), Claudia Huckle (Schwertleite), Sarah Castle (Siegrune), Madeleine Shaw (Rossweisse) et Katherine Broderick (Helmwige), sans oublier la Waltraute frémissante d’Heather Shipp qui promet une Götterdämmerung plus convaincante encore.

Après Jochanaan à Montréal (Strauss, Salome), Telramund à Francfort (Wagner, Lohengrin), Méphistophélès à Stuttgart (Berlioz, Damnation de Faust), Barbe-Bleue à Los Angeles (Bartók, A kékszakállú herceg vára) et Moïse à Berlin (Schönberg, Moses und Aron), le passionnant Robert Hayward [lire notre chronique du 29 mai 2010], dont le Don Giovanni fit soupirer bien des robes à fleurs à Glyndebourne il y a plusieurs décennies, se révèle un très grand Wotan : ligne majestueusement conduite, souffle inépuisable, prestance à l’avenant sont au service d’une expressivité confondante. Des tergiversations aux adieux en passant par la colère, ce Wotan est une bénédiction. L’engagement dramatique d’Yvonne Howard en Fricka n’a d’égal que la pureté indescriptible de son chant, plus convaincant encore qu’au prologue. Ainsi le couple divin est-il vraiment divin ! Encore fallait-il une Brünnhilde à la hauteur : en la matière nul ne se plaindrait de l’excellente Kelly Cae Hogan, soprano dramatique au timbre fastueusement coloré et walkyrie évidente qui amène ce qu’il faut de lumière à sa rébellion irrépressible.

Hier, quelques éléments laissaient penser que Richard Farnes s’aventurerait peut-être dans une lecture plus dramatique des trois journées du Ring. Cette impression se trouve comblée dès les premières mesures du plus théâtral des trois ouvrages. Loin du Walhalla, Wagner ouvre le rideau sur la course du fuyard, étanchant bientôt sa soif à la main de sa sœur-amante, combattant contre l’époux-tyran. La hargne profonde de la direction de Farnes bouscule l’auditeur comme de droit et gagne formidablement les échanges des dieux. Ici, tout est passion, sans en démordre jamais, y compris l’amère condamnation de la fille trop obéissante par un père tenu en laisse – histoire de dieux, vraiment ? Soif de pouvoir, amours déchues et chantage conjugal, au regard de nombreux cocufiages, sont affaires humaines, j’oserai dire domestiques. Cet aspect n’échappe pas à l’interprétation copieusement opératique du chef anglais.

Et s’agissant de femmes et d’hommes, un fougueux trio plonge immédiatement dans le cœur de chacun. Les moyens de la basse James Creswell, peu à l’œuvre en Fasolt, s’avèrent énormes en Hunding, tel l’an passé en Pogner (Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg) [lire notre chronique du 21 février 2015]. Puissance, autorité, terreur, tout est réuni dans cette incarnation follement sexy. En confiant la partie de Siegmund au Suédois Michael Weinius [lire notre chronique du 19 novembre 2010], Opera North respecte même formats vocaux. La carrière du ténor est essentiellement wagnérienne – et cela s’entend ! La voix est précisément définie, le phrasé avance sans difficulté aucune, qualité transcendée par une présence parfaite. Senta ici, Isolde là, le soprano écossais Lee Bisset donne une Sieglinde inoubliable avec une couleur riche, égale sur tout le registre, un chant de toute beauté.

Peut-être faut-il voir une chance dans le pas à pas illustratif de la proposition vidéastique de Peter Mumford : du coup, c’est l’image qui crée la distance. Pourtant, on se prend à rêver ce qu’aurait pu donner un concept scénique revêtant le même degré de passion que les chanteurs et l’orchestre…

KO