Chroniques

par laurent bergnach

Die Dreigroschenoper | L’opéra de quat’ sous
opéra de Kurt Weill

Opéra Éclaté / Théâtre Sylvia Monfort, Paris
- 21 décembre 2003
© nelly blaya

Alors que l’Atelier Lyrique de Tourcoing donnait le 14 décembre dernier la dernière représentation de son Opéra de quat’sous [lire notre chronique], le Théâtre Sylvia Monfort en propose une autre vision, du 17 décembre au 11 janvier, dans le cadre d’Opéra Eclaté. Olivier Desbordes et Eric Perez en signent la mise en scène. Il est toujours intéressant de voir, à une semaine d’intervalle, se jouer le même ouvrage dans des productions différentes. Malheureusement, comme c’est le cas aujourd’hui, il arrive que la seconde fois soit dispensable pour le spectateur devenu exigeant...

Bertolt Brecht et Kurt Weill créent leur opéra à Berlin, au théâtre du Schiffbauerdamm, le 31 août 1928. L’histoire des bas-fonds londoniens et de leurs miséreux est ici racontée dans le cadre d’un cabaret-cirque : les guirlandes d’ampoules rouges encadrent la scène tandis que des ribambelles de disques miroitant forment un rideau ajouré derrière lequel se tient un ensemble orchestral, à la direction convaincante. La complainte de Mackie, chantée par Jenny-des-lupanars, est mimée en ombre chinoise derrière un drap, procédé ingénieux et esthétique qui donne au Surineur un mystère et une aura digne des monstres de Murnau, Mabuse et M. en tête.

Jonathan Peachum (Jean-Pierre Descheix) fait son entrée en Monsieur Loyal ; puis c’est au tour de sa femme Célia (Béatrice Burley), grotesque et titubante à souhait tout au long de l’opéra. À leur suite, les faux mendiants, les vrais bandits (Rui Angelo, Jean-Pierre Chevalier, Jean-Paul Delvor, Adrien Gamba-Gontard, Richard Lahady, Fosco Perinti), excellents pour la plupart, envahissent la piste... Le décor est planté, les premiers moments sont convaincants, mais tout ce dérègle.

Le souci de distanciation cher à Brecht est ici respecté, c’est certain. Pourtant l’on se retrouve bientôt devant un spectacle sans émotion. Les dialogues s’enchaînent, manquant de respiration, les acteurs récitent sans trop penser. L’arrivée de Macheath marque un point de non retour : dans ce personnage, Christophe Lacassagne débite son texte de façon monocorde, ne brisant la monotonie qu’en criant toujours plus. Peachum suivra bientôt sur le même terrain, toujours en force. De fait, on n’a aucune espèce d’intérêt pour ces deux personnages, l’un passant pour un pur psychopathe, l’autre n’ayant ni la finesse ni le cynisme qui donnerait de l’épaisseur au rôle. Polly (Natalia Cadet) est une fille vulgaire et finalement vénale. Tiger Brown (Eric Demarteau), effacé et geignard, n’a pas l’ombre du charisme auquel il doit son surnom. Lucie (Anne Barbier) est plutôt drôle mais on la maintient en dessous de la Commedia de l’Arte dont elle ébauche des traits dans son duel avec Polly. Jenny enfin (Flore Boixel) peut être remerciée pour son solo allongé sur une malle, le seul moment un peu recueilli de ces deux heures et demie d’agitation désordonnée.

Entre incohérence flagrante et caricature éculée, on continue d’interroger la mise en scène. Pourquoi cette surenchère de violence – fouet qui claque, coup de cravache, homme jeté à terre ? Pourquoi ces bassins qui ondulent au bordel alors que le tableau vivant des corps emmêlés suffisait ? Pourquoi cette construction laborieuse, grille par grille, de la cage au lion imposée par deux fois au public alors qu’on aurait pu symboliser la prison de Macheath ? Trop de questions qui font qu’on ne rit plus, qu’on ne s’émerveille plus et que les airs de Weil, même s’ils sont plutôt bien chantés en français par la troupe, finissent par ressembler à de l’opérette à deux sous.

LB