Chroniques

par isabelle stibbe

Dido and Æneas | Didon et Énée
opéra d’Henry Purcell

Opéra Comique, Paris
- 3 décembre 2008
émouvant Dido and Æneas de Purcell à l'Opéra Comique (Paris)
© elisabeth carecchio

Grâce soit rendue à Jérôme Deschamps qui ouvre sa deuxième saison à la tête de l'Opéra-Comique avec Dido and Æneas de Purcell, dans la mise en scène magique de Deborah Warner. Cette grande dame du théâtre, dont on vit à Chaillot le Jules César époustouflant, confirme une nouvelle fois son talent. Est-ce parce qu'elle est née près de Stratford-on-Avon, la ville de Shakespeare, que la Britannique excelle dans ce type de répertoire ? Nul doute que l'ombre du dramaturge plane dans ce spectacle superbe de beauté, de finesse et de justesse, qui atteint le cœur même du théâtre.

Le théâtre, le spectateur y plonge dès son entrée dans la salle. Sur le plateau, des enfants répètent leurs mouvements sous la conduite d'adultes avant que prenne place le Prologue. La musique ayant été perdue, Deborah Warner a choisi d'en maintenir le principe en remplaçant le texte du librettiste Nahum Tate par un choix judicieux de poèmes (Hughes, Eliot et Yeats). Dits en anglais par sa complice et immense comédienne Fiona Shaw, mince silhouette en jean et corset noir, ils sont à eux seuls un enchantement tant l'interprétation en est belle et forte.

Le premier acte s'ouvre sur des décors raffinés (trumeau orné de moulures baroques, rideau de perles, voiles drapées qui se déploieront au troisième acte pour suggérer la flotte troyenne) où la mise en abyme est rendue constamment présente par le tréteau placé au milieu de la scène et les trois niveaux de plans : solistes en costumes XVIIe, chœur en tenues contemporaines et petites filles en uniformes scolaires. Intégrés à l'opéra pour faire écho à l'hypothèse selon laquelle Didon et Énée aurait été créé en 1689 pour un pensionnat de jeunes filles, les cris des enfants, leur énergie, leurs courses à travers le plateau insufflent un supplément de vie au spectacle.

Faire vivre la musique n'est pas le moindre des mérites de William Christie. Familier de cette œuvre, il en a peaufiné la direction au fil des ans et livre une interprétation d'un grand naturel, constamment à l'écoute des chanteurs. Le Chœur des Arts florissants, très équilibré, apporte musicalité et émotion.

Quant aux solistes, ils sont tous non seulement excellents chanteurs mais également fort bons comédiens. Admirablement dirigés, ils réussissent à rendre le chant lyrique aussi naturel que s'il était parlé. Il faudrait les citer tous. Énée : Christopher Maltman qui, malgré son rôle court, n'en fait pas moins entendre son beau timbre au mordant viril ; la piquante Belinda : Judith van Wanroij qui, sans avoir une voix très puissante, chante avec une belle sensibilité ; la sorcière truculente et d'une méchanceté jubilatoire : Hilary Summers n'hésite pas à enlaidir sa voix pour mieux entrer dans le personnage : ses deux jeunes petites comparses : Céline Ricci et Ana Quintas, délicieuses de perversité. Et surtout Didon, Malena Ernman en altière reine de Carthage, aussi digne dans le bonheur et l'amour que dans le désespoir ou la peur. Cette musicienne aux graves envoûtants se révèle grande tragédienne, de l'étoffe des Geneviève Casile. Après la « trahison » d'Énée, son suicide est d'une intensité poignante. S'il n'y a pas d'amour heureux, il y a d'heureux moments de grâce. Ce Dido and Æneas est de ceux-là.

IS