Chroniques

par bertrand bolognesi

Dialogues des carmélites
opéra de Francis Poulenc

Opéra national de Bordeaux
- 16 février 2013
à Bordeaux, Mireille Delunsch met en scène Dialogues des carmélites (Poulenc)
© frédéric desmesure

En coproduction avec Angers-Nantes-Opéra, l’Opéra national de Bordeaux affiche un nouveau Dialogues des carmélites dans le double cadre de la résidence de Mireille Delunsch et du cinquantenaire de la disparition de Francis Poulenc. Est-ce à dire que le soprano retrouve ici le rôle de Madame Lidoine qu’elle défendait honorablement à Tours il y a trois ans [lire notre chronique du 30 mars 2010] ? Non, c’est à la mise en scène plutôt qu’au chant qu’elle s’est attelée cette fois, une mise en scène dont il faut saluer la cohérence, la délicatesse d’intention, le soin et la précision.

Avec la complicité de Rudy Sabounghi pour les costumes et les décors, et de Dominique Borrini pour la lumière, Mireille Delunsch réalise un Dialogues des carmélites d’une facture plutôt « classique » qui se penche avec autant de bonne foi et d’à-propos que de bon sens sur un texte difficile dont il n’est fait impasse d’aucune subtilité. Si l’esthétique accumulatrice des tableaux à l’Hôtel de La Force n’est pas des plus réussies, la représentation du couvent est magistrale. Le voyage de l’un à l’autre s’opère par le lent et hiératique atterrissage d’une armada de cierges qui sépare rigoureusement monde et règle, si bien qu’il ne sera guère utile à la Prieure d’accuser trop son autorité. Il serait fastidieux d’énumérer les procédés judicieux qui éveillent l’imagination tout en offrant un cadre signifiant à chaque moment de cette longue marche vers le martyre volontaire – si tant est que les Écritures autorisent qu’il puisse l’être sans l’assimiler au suicide ; à cette question, l’exclusion de Mère Marie, instigatrice du vœux qui en est prononcé, est l’intransigeante réponse supposée du Très Haut… En résumé, disons qu’une chance est subtilement donnée au texte et aux personnages, par-delà la convention qui les soutient. En 1995, Marthe Keller signait à Strasbourg un final saisissant d’émotion en stylisant adroitement la décapitation finale. Depuis, la mort s’est atténuée en des métaphores plus ou moins puissantes. Ici, la terrible machine de Guillotin traverse le plateau sur tout le prélude « de cirque », imposant son indigeste et cependant bien réel Grand-Guignol à la scène conclusive. Cette réhabilitation du couperet, des marches qui mènent au supplice, confronte à une horreur bien réelle dont la République ne sut se passer qu’il y a une trentaine d’années. Plus impacté que jamais, le son de la lame qui s’abat ne fait dès lors plus figure d’artifice : cette représentation s’achève dans la choséité crue de la mort.

Nous retrouvons quelques voix familiarisées avec l’ouvrage, auxquelles sont associés des gosiers plus novices en cette matière. Si la prestation du Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, dirigé par Alexander Martin, se révèle efficace, quelques éléments s’en trouvent détachés pour incarner des rôles secondaires. C’est le cas de Luc Seignette, solide Commissaire, de Claire Larcher, Mère Jeanne attachante, de Marie-Valérie Bry, Sœur Mathilde présente, et de Jean-Marc Bonicel, Javelinot de bon aloi. Les « grands seconds » ne déméritent pas : Frédéric Goncalves offre un baryton ferme au Geôlier, tandis qu’Éric Huchet donne un Aumônier toujours élégamment phrasé. Les personnages déterminants sont bien tenus, dans l’ensemble. La Constance d’Hélène Le Corre n’admire point trop ses propres facilités vocales, ce qui est un atout considérable dans ce rôle moins simple qu’il n’y paraît. D’une projection plus soutenue qu’à l’accoutumé et d’un timbre dont la couleur s’affirme d’années en années, Xavier Mas campe un Chevalier de belle tenue.

Enfin, le trio de tête fait merveille. D’opulentes harmoniques Cécile Perrin compose une Mme Lidoine généreuse dont l’incarnation souligne comme malgré elle ce que nous en raconte la partition. La ductilité de Sophie Marin-Degor, doublée d’une diction exemplaire (qualité qu’elle partage avec Xavier Mas, entre autres), mais encore l’intensité du jeu, parfaitement intériorisé, font une Blanche de référence. Que dire encore de la énièmeMme de Croissy de Sylvie Brunet ? Tout va de soi, de la bonté inquiète à la révolte horrifiée, de l’admiration pour le courage d’une autre face à ses mises en garde jusqu’à cette « mort trop petite » dont les visions préalables ressurgissent immanquablement durant l’ultime fête macabre. « Que ne puis-je arracher ce masque avec les ongles ! », dit-elle si bien.

BB