Chroniques

par bertrand bolognesi

deux créations par Teodoro Anzellotti et Christophe Desjardins
Peigner le vif de Gérard Pesson, Tornasole de Stefano Gervasoni

Domaine de Kerguéhennec
- 10 juin 2007

Inaugurant une résidence de compositeurs avec Denis Dufourt en 2001, le Domaine de Kerguéhennec, Centre d’Art Contemporain et Centre Culturel de Rencontre, accueillit Gérard Pesson en 2004. Le musicien y dispensa régulièrement ses conseils à de jeunes créateurs et interprètes. Considérons le concert de cet après-midi comme le passage naturel entre deux ères, puisque la résidence de Stefano Gervasoni, courante jusqu’en 2010, a commencé au premier du mois.

C’est dans une tendre couleur d’harmonium que s’ouvre ce rendez-vous, l’accordéon de Teodoro Anzellotti et l’alto de Christophe Desjardins livrant une fort élégante interprétation de la Sonate en ut mineur (conçue pour alto et clavecin) de Wilhelm Friedemann Bach. Écrit il y a près de quinze ans, Tornasole de Stefano Gervasoni n’avait pas encore été joué jusqu’à ce jour. L’alto solo présente certains motifs qu’il fera tourner ou autour desquels il tournera, érodant peu à peu le matériau et profitant de cette échappée pour retrouver finalement de squelettiques réminiscences motiviques dans l’aigu, connaissant des fins de souffle parfois « japonisées ».

Achevé le 3 juin dernier, Peigner le vif est la réponse de Gérard Pesson à une commande du lieu, entrant dans la cadre de sa résidence. La pièce connut plusieurs ferments : Wunderblock (2005) pour accordéon et orchestre, imaginé dans un souvenir brucknérien, et Panorama, particolari e licenza d'après « Harold en Italie » d'Hector Berlioz (2006) pour alto, voix d'alto et neuf instruments. Amorcée par une note doublée et filée qu’elle brouille en l’excoriant, la partition se colore du trajet avorté des voix, d’abord bouches fermées, puis plus nettement exprimées. Elle développe ensuite un jeu obstiné sur la résistance choséique de l’attaque instrumentale qui, bien que s’affirmant plus loin, ne déroge pas à la discrétion de l’écriture, ne s’installant jamais dans la franche vibration – loin de toute épistaxis, Peigner le vif est un délicat mezzotinto. Pour finir : bref rappel du statisme initial, à peine souligné par les voix « mangées », puis furtif frottement de la « carrosserie ».

Saluons l’excellente idée de donner trois des innombrables Sonates de Domenico Scarlatti à l’accordéon ! Teodoro Anzellotti transmet aussi bien la frappe précise d’un clavecin, notamment dans l’aigu, que la couleur tendrement respirée, plus amabile, d’un pianoforte. Ainsi fait-il sensiblement se répondre les intrépides boîtes à musique dont cette œuvre regorge et le suave cantabile, parfois même moelleux, avec lequel le compositeur semble respirer entre deux obsessions. La conduite de la dynamique se révèle minutieusement travaillée, la fluidité exquisément flûtée, le motif principal de la Sonate K.6 prenant d’étonnantes et délicieuses allures de quintette à vents mozartien.

En février 2004, les mêmes interprètes créaient, lors d’un Midi du Châtelet, Nous sommes l’air, pas la terre… de Marco Stroppa [lire notre chronique et le Dossier Upon a Blade of Grass]. Nous retrouvons cette pièce avec plaisir. Sur le mariage des instruments, Gérard Pesson écrit : « Qu’est-ce donc qui lie alto et accordéon, d’origines et de paysages si dissemblables ? Même possibilité de tenir un son sans fin, de fuiter le timbre par un souffle égal, ou vibré ; même puissance de respirer ; même façon de phraser presque nasalement un médium ou de flûter un suraigu ». On ne saurait dire mieux… De fait, Lachrymae Op.48 de Benjamin Britten (à l’origine pour alto et piano) rencontre là un riche potentiel sonore : Christophe Desjardins et Teodoro Anzellotti nous en présentent une lecture particulièrement inspirée dont le recueillement n’exclut pas le lyrisme.

BB