Chroniques

par bertrand bolognesi

deux créations par l’ensemble Variances
Incessabili Voce de Lisa Bielawa

Cri selon cri de Thierry Pécou
Arsenal, Metz
- 5 avril 2013
le compositeur Thierry Pécou, en résidence à l'Arsenal de Metz
© cyrille guir

Dans l’idéale intimité de la Salle de l’Esplanade, nous découvrons le nouveau programme du jeune ensemble Variances, créé il y a quatre ans par le compositeur Thierry Pécou qui s’y produit en tant que pianiste. Au metteur en scène suisse Stephan Grögler – dont à votre appréciation nous signalions récemment la production angevine de Die Weiße Rose [lire notre chronique du 29 janvier 2013] – fut confiée la mise en espace de ce moment de musique autour de deux créateurs : la Californienne Lisa Bielawa et Pécou lui-même.

En haut de scène, une tour-totem de néons verts côté jardin croise une diagonale de néons rouge qui contrarie ingénieusement l’œil dans son instinctif souci de délimitation des espaces de jeu. En cour, le Steinway ferme l’horizon, devant lequel se laisse deviner la future réunion d’un quatuor ou d’un quintette. Encore la simplicité de cette géométrie lumineuse est-elle à nuancer, de nombreuses ampoules de différentes tailles venant en assouplir le dessin, vraisemblable souvenir de l’étoilement autrefois usité pour Niobé de Dusapin [lire notre chronique du 15 avril 2003].

Une première pièce de Lisa Bielawa ouvre la soirée, Gargoyles pour flûte solo. Magnifié par Anne Cartel, le pouvoir incantatoire de l’instrument impose d’emblée une certaine concentration de l’écoute qui laisse entendre l’œuvre dans les sillages de Jolivet et de Saariaho. Bientôt, une volubilité frémissante renoue avec une écriture de plus simple facture qui laisse s’élever un chant. Non sans séduction, la dernière section joue d’échos attentifs. Précisons-le : c’est la première fois que nous entendons la musique de Lisa Bielawa (qui n’est-elle pas encore régulièrement donnée en France). Quelle perception en avons-nous à travers Gargoyles ? Peut-être celle d’une esthétique qui, tout en croisant, voire synthétisant les influences contemporaines, semble chercher à renouer avec une plénitude du son, sinon un plaisir presque nostalgique. D’autres opus nous permettront sans doute d’affiner cette appréhension forcément limitée.

En quatrième position dans les sept pages données ce soir, nous assistons à la création mondiale d’Incessabili Voce conçu par Bielawa pour voix, clarinette, saxophone, violon, violoncelle et piano. La compositrice en tient la partie vocale qu’elle initie par un Te Deum laudamus seule en scène, à peine mis en situation par les lointaines « scories » des autres instruments en coulisses. Sur une ligne de chant quasi grégorienne, le pianiste rejoint le clavier ; à un ostinato dérivé de l’inflexion grégorienne d’alors aller son chemin propre sur les accords musclés du piano. Un nouvel épisode survient qui dans le quatuor instrumental (sans le piano) accueille la voix, comme affranchie de son acception quintessentielle induite par le sacré préalable. De fait, au texte latin de céder la place à la langue anglaise. L’écriture opère des relais mélodique de la voix à l’ensemble et inversement. À cette partie lyrique succède un « pont », où la voix explore des procédés plus « bruitistes », vers une dernière section quasi dansée sur une obstination qui reprend les accords pianistique de la deuxième section. Le final va s’éteignant dans un ad libitum de coulisses, sur les pas de la chanteuse. Avec cette œuvre s’esquisse une nouvelle impression du travail de Lisa Bielawa qui la situerait dans une esthétique un rien new age. Commande de Radio France, Incessabili Voce sera reprise à Paris lors de la prochaine édition du festival Présences.

Après la Sequenza VIIb de Berio (Nicolas Prost au saxophone) est joué en première mondiale Cri selon cri qui prête son titre à la soirée. D’abord feutré dans une couleur qui rappelle l’alto, le violon de Liana Gourdjia fait évoluer les glissandos d’harmoniques vers un lyrisme clairement « vibratile », si l’on ose dire. Dans cette riche sonorité l’on entend aussi bien l’héritage de Franck et Fauré que les fascinantes aspérités de Prokofiev. La partie de piano s’égaille énigmatiquement sur le chant.

Tous sont réunis par Les machines désirantes où Pécou évoque l’érotisme du cri, que ce soit dans certaines natures d’attaques instrumentales ou dans les soupirs généreusement exprimés par la flûtiste (et qui ne manquent pas de faire sourire le public). Le piano ouvre le feu avec un trille qui va s’élargissant vers une sorte de gruppetto bientôt éclaté sur tout le clavier. Une puissante assise rythmique bondit de syncopes en ruptures métriques, jusqu’à l’insaisissable. Sur l’inquiétante étrangeté de la voix se referme le concert, celle du trop rare Hymnen an die Nacht de Claude Vivier (1975), initialement pour soprano et piano, ici dans une version pour voix et ensemble signée Walter Boudreau.

Après ce projet « américain », Variances (en résidence ici-même dès septembre 2013) associera ses talents à ceux de l’ensemble hambourgeois Resonanz pour un programme franco-allemand croisant des opus de Thierry Pécou et de Moritz Eggert – un programme à découvrir à Hambourg, Metz et Paris. Dans quelques jours, la Grande Salle de l’Arsenal fera sonner Orquoy, nouvelle œuvre de Pécou pour grand effectif, que donnera Jacques Mercier à la tête de l’Orchestre national de Lorraine (le 19 avril).

BB