Chroniques

par laurent bergnach

Des trous dans la tête !
film de Guy Maddin – musique de Jason Staczek

Festival d'Automne à Paris / Odéon – Théâtre de l'Europe, Paris
- 19 octobre 2009
Des trous dans la tête !, film de Guy Maddin, musique de Jason Staczek
© dr

Suite à une supplique maternelle, trente ans après son départ, Guy revient sur l'île de Black Notch pour repeindre le phare de deux couches de peinture blanche. Il entraîne alors le spectateur dans une souvenance en douze chapitres (sous-titre du film) et à la découverte d'une singulière autant que savoureuse galerie de portraits : une mère tyrannique et névrosée (« Ce qui est sale est mal ») qui rajeunit au terme d'étreintes charnelles ; un père discret qui prélève la précieuse nectarite sur d'innocentes victimes avant d'être assassiné, enterré, réanimé, séquestré puis incinéré ; une sœur qui compte sur la complicité de son jeune frère pour s'émanciper ; la harpiste détective Wendy Hale qui fait chavirer les cœurs à mesure qu'elle se travestit ; des orphelins à demi prisonniers dont Tom le Cruel qui organise une Messe noire et Neddie que la culpabilité dévore de tics nerveux…

En prélude à la projection de son film sorti en 2006, s'excusant de son français « très mauvais, très merdique », le Canadien Guy Maddin (né à Winnipeg, en 1958) le qualifie de « spectacle orgasmaculaire », et on comprend ce qu'il entend par là, après avoir vu cette nuée d'images noir et blanc au montage syncopé, qui bredouillent, alternent avec des intertitres à la typo contemporaine, et ouvrent de façon éphémère sur la couleur. L'expressionnisme de Murnau, la poésie de Cocteau ou le surréalisme du premier Lynch, on ne compte plus les références flatteuses qui pimentent les articles critiques sur une œuvre débutée à la fin des années quatre vingt – et à laquelle le Centre Pompidou rend hommage jusqu'au 7 novembre prochain. Pour sa part, l'intéressé reconnait surtout ici la ressemblance de son jeune héros avec celui des 400 coups.

Présenté aujourd’hui en version scénique, ce film tendrement fantastique et cruellement cocasse doit beaucoup aux effets sonores. Tandis que les bruiteurs – Naho Shioya, Dean Moore et Bill Blauvelt – accompagnent précisément l'image de sons réalistes (clapotis des vagues, grincements de rames, cris de mouettes, coups de pinceaux ou de ciseaux, bris de vaisselle ou de biscuit, baisers, etc.), Hélène Bouchez et L'Instant Donné livrent la partition de Jason Staczek. Les cordes (violons, altos et violoncelles par paire), notamment, aident à créer un climat impressionniste, nostalgique et sensuel qui tranche avec les moments de transe hypnotique.

« De face de profil / elle attire tous les regards », chante Christophe, célébrant les yeux d'Isabella Rossellini. Ce soir, l'actrice italienne est avant tout une voix au service de la narration française, expliquant l'origine de l'aérophone ou le pouvoir des gants embrasseurs, hurlant de rage et gémissant de plaisir. Enfin, avec ses deux courtes chansons limpides et éthérées – dont une brève prière lors du faux suicide maternel –, citons le haute-contre Tom Williams qui a contribué à l'excellence d'un programme ludique et émouvant.

LB