Chroniques

par francine lajournade-bosc

Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
opéra de Richard Strauss

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 11 mai 2008
© patrice nin

Au moment où le rideau du Capitole se lève sur le premier acte de la nouvelle production made in Toulouse by Nicolas Joel de Rosenkavalier, on craint le pire : un orchestre qui, malgré de belles couleurs, semble avoir le plus grand mal à trouver ses marques dans une ouverture où l’auditeur peine, quant à lui, à trouver son Strauss ; un décor façon grande promo sur la colonne corinthienne à chapiteau doré, des coussins en satin blanc un tantinet tartignoles sur le lit adultérin de la Maréchale… Malgré tout cela, le meilleur a fini par arriver.

Nicolas Joel a fait de mises en scène ultra classiques, voire parfois conservatrices, sa marque de fabrique. Son premier Rosenkavalier se situera donc sans surprise au XVIIIe siècle à Vienne, là même où Hugo von Hofmannsthal a situé l’intrigue. Si cette fidélité est, en soit, tout à fait louable, elle n’est en rien une garantie contre quelques partis-pris très discutables. Pourquoi, en effet, faire du baron Ochs un Falstaff là où, à choisir, on le préférerait Scarpia ? Pourquoi caricaturer le personnage et limiter le propos du livret à celui d’une mauvaise opérette gommant au passage toute la subtilité du propos, la critique sous-jacente ? Le public, qui devrait être glacé par la lubricité du Baron, rit de sa grossièreté. Pourquoi faire si peu confiance au livret ? Etait-il vraiment nécessaire de faire s’embrasser à pleine bouche et à tout bout de champ Octavian et Sophie pour nous dire leur amour naissant ? Pourquoi encore, pour le trio de l’Acte III, cacher d’un écran le décor ? Comme si son statut acquis de tube de l’art lyrique justifiait qu’on extrait artificiellement la scène du reste de l’ouvrage. Pourquoi enfin, malgré tout cela, ce Rosenkavalier restera l’un des plus beaux que l’on ait vu depuis longtemps ?

On y vient.
Ce qui submerge, ce qui ravit ici, est une distribution de compétition. Sophie Koch est un Octavian de rêve. D’une absolue justesse tant dans la technique vocale et la musicalité qu’en son incarnation du personnage. Martina Seraphin, magistrale Maréchale à la voix ample et à la technique époustouflante [lire notre chronique de sa prestation nancéienne, le 31 mars 2005], parvient à s’abstraire de la mise en scène grosses ficelles évoquée plus haut pour faire évoluer, tout en finesse, le rôle de la femme passionnée et sensuelle à celui de princesse socialement responsable. Un couple parfait, tant d’un point de vue musical que théâtral. Tellement parfait qu’on en vient à frémir pour la pauvre Sophie qui, entre ces deux-là, va devoir trouver sa place au deuxième acte. L’on ne frémit cependant pas longtemps, Anne-Catherine Gillet se révélant, dès son entrée sur scène, comme l’incarnation idéale de Sophie. Elle a seize ans pour de vrai ! Ou du moins y croit-on dur comme fer. Le timbre haut perché, l’émission facile, elle vient tout naturellement compléter un trio d’exception.

Kurt Rydl en Baron Ochs, bien malmené par la mise en scène, tirera fièrement son épingle du jeu. Le reste du plateau est à l’avenant, conférant à la production une homogénéité vocale rarement entendue. Le miracle de cette distribution réussira même à nous faire oublier la direction sans charme et parfois brouillonne de Jiri Kout.

À Toulouse moins qu’ailleurs, le mélomane n’est avare de commentaires, et il suffit de laisser traîner ses oreilles sur la place pour recueillir les impressions à chaud d’un public passionné et souvent connaisseur. Parfois, cependant, l’auditeur se laisse aller et le commentaire s’égare. Le plus croquignolet sera celui-ci : « Qu’elle était jolie cette Maréchale ! D’ailleurs, elle a beaucoup été applaudie tellement elle était jolie ! ». Détrompez-vous, chère madame, Martina Serafin n’était pas jolie : elle était juste, à l’image de ses consœurs Sophie Koch et Anne-Catherine Gillet, sublimes. Juste et simplement sublime.

FLB