Chroniques

par jorge pacheco

David Robertson joue Birtwistle, Boulez et Schönberg
Ensemble Intercontemporain et Orchestre du Conservatoire

Cité de la musique, Paris
- 11 décembre 2012
David Robertson joue Birtwistle, Boulez et Schönberg
© michael tammaro

Après la saga Bach|Kurtág de septembre dernier [lire nos chroniques des 20, 21, 22 et 26 septembre 2012], la Cité de la musique rend une nouvelle fois visite à l'œuvre du Cantor de Leipzig dans son cycle B.A.C.H. Véritable Leitmotiv de ce parcours, la signature musicale formée par les quatre lettres du nom du génie baroque (si bémol, la, do, si bécarre), qui inspira tant de créateurs postérieurs, est le point de départ de chacun des concerts donnant vie à ce cycle brillant, touchant ce soir à sa fin.

L'excellent David Robertson revient sur le podium de l'Ensemble Intercontemporain (il en fut le directeur musical de 1992 à 1999) pour un menu concis mais intense, dont les plats de résistance sont Sur Incises de Pierre Boulez et les Variations Op.31 de Schönberg. Entre ces deux sommets du XXe siècle, les Bach Measures d’Harrison Birtwistle semblent bien moins imposantes, sans toutefois démériter complètement.

Discrète et de bon goût, l'entrée sur scène de Robertson se fait en même temps que celle de ses musiciens pour l'exécution de Sur Incises, œuvre dont la création fut assurée par l'EIC en 1998, sous la même baguette. La présence dans la salle de Pierre Boulez rend l'exécution encore plus émouvante et « historique », si l'on ose dire, d'autant plus que le maître, souffrant de soucis ophtalmologiques assez importants, se voit contraint de renoncer à la direction des concerts prévus avec l'Orchestre de Paris (18 et 19 décembre ; il sera remplacé par Mikko Frank). Comme la première fois, nous sommes aujourd'hui absorbés par la force de cette partition qui enchaîne de véritables « gifles sonores » – comme l'affirme Boulez lui-même dans le merveilleux documentaire signé par Andy Sommer sorti en 2005 [lire notre critique du DVD] –, avec des rafales fulgurantes dans le grave des trois pianos, pour laisser ensuite la place à de mystérieuses résonances soulignées par les trois harpes et les percussions. Cela semble aller de soi, l'exécution est une fois de plus brillante, notamment celle des trois pianistes en poste, presque inhumainement mis à l'épreuve. Quoique de temps en temps ornée de mouvements de hanche qui parfois semblent de danse de salon, la direction est d'une élégante clarté mais encore précise et pudiquement expressive. Pierre Boulez est chaleureusement ovationné par un public presque incrédule, qui, à raison, ne se lasse pas de l'applaudir et l'acclamer.

Comme le titre le suggère, il y a certainement plus de Bach que de Birtwistle dans les Bach Measures (1996). À vrai dire, plus que d'une œuvre accusant une quelconque inspiration bachienne, il s'agit d'un travail d'arrangement sur huit des quarante-six variations de choral du Petit Livre d'Orgue. Sans atteindre la subtilité dans le jeu de timbres sur les lignes du contrepoint de Webern dans sa Fuga Ricercata, ni la finesse « hypertextuelle » d'un Berio, les arrangements de Birtwistle, qui respectent chaque note des originaux et semblent écrits à la vitesse de la plume, brillent par leur caractère directe et honnête. Citons comme exempleO Mensch, bewein' dein Sünde groß où le choral orné passe sans cesse de la flûte alto à la clarinette.

Selon ce qui déjà s’est fait tradition (et quelle belle tradition !) pour l'exécution d'une œuvre demandant le concours d'une grande formation, en l’occurrence les Variations Op.31 d’Arnold Schönberg, la scène est, pour finir, occupée par les musiciens de l'Orchestre du Conservatoire de Paris qui rejoignent ceux de l'EIC. Aux jeunes gens cette bienheureuse initiative permet non seulement d'avoir un échantillon de leur future activité professionnelle aux côtés de musiciens qu'ils connaissent et admirent pour la plupart, mais aussi de prendre goût au langage et au répertoire contemporains, ce qui n'est pas toujours de mise dans les classes. Chose attendue, l'orchestre projette une énergie tout à fait digne de l'enthousiasme de ces intervenants, mais surprend encore par la qualité du son, notamment des premiers violons que bien des formations professionnelles envieraient. Quelle densité dans le legato, quelle balance des bois et cuivres, quelle expressivité dans les traits mélodiques des violoncelles ! Robertson, sans doute en grande partie responsable du succès de l'entreprise, libère savamment et par bribes une énergie qu'en retour il reçoit multipliée par autant d'âmes qu'il y a de musiciens. Cet enthousiasme n'est pourtant pas sans contrainte, notamment en ce qui concerne les subtilités de l'orchestration de Schönberg. Le solo du premier violon, notamment, quoique fort expressif et sobrement vibré, est faiblement projeté et manque de brillance.

Dans une atmosphère enjouée, et toujours en présence de Boulez, le concert se termine par un petit hommage à Antoine Curé, trompettiste qui quitte l'ensemble après plus de trente ans de service, entre les larmes et les applaudissements de ses collègues. Nous espérons le voir bientôt dans d'autres projets tout aussi passionnants et engagés avec la musique de notre temps, ainsi que David Robertson dont la visite est toujours un événement à ne pas manquer.

JP