Chroniques

par laurent bergnach

David Bismuth et Guillaume Martigné
œuvres de Debussy, Mantovani, Paladilhe, Séverac et Vieu

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 15 juillet 2015
Bismuth et Martigné jouent les compositeurs du Languedoc-Roussillon
© bibliothèque nationale de france

Duos d’orgues, de percussions ou de violes de gambes, cette trentième édition du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon fait dialoguer les instruments jumeaux mais aussi plus panachés : voix et luth, violon et accordéon ou encore piano et violoncelle, comme en cette fin d’après-midi. Aux côtés de David Bismuth, nous attendions Camille Thomas, remarquée par un récent programme russe chez Fuga Libera (FUG 712) et en récital au Printemps des arts de Monte-Carlo [lire notre chronique du 11 avril 2015]. Hélas, victime d’une blessure au poignet, la musicienne a déclaré forfait, remplacée en dernière minute par Guillaume Martigné, lauréat de nombreux prix au conservatoire de Paris et formé par Mark Drobinsky (lui-même disciple de Rostropovitch) et Bernard Grennhouse (membre fondateur du Beaux Arts Trio, en 1955).

À l'exception de la Sonate Op.100 du Carcassonnais Paul Lacombe (1837-1927) troquée contre un « classique » jouable sans partition, la Sonate en ré mineur signée Debussy, le programme reste quasi inchangé. Mettant à l’honneur les compositeurs de la région, il débute avec Trois mélodies d’Émile Paladilhe (1844-1926), natif de Montpellier qui, à l’instar de son contemporain Massenet, aimait donner des prénoms féminins à ses opéras (Vanina, Dalila) et opéra-comiques (Suzanne, Diana). Venu à Paris à neuf ans pour perfectionner son jeu à l’orgue, l’élève d’Halévy remporte le Premier Grand Prix de Rome à l’âge de seize. De ce talent précoce, Pastel retient l’attention par sa tendre mélancolie où brille un piano un brin hiératique et un violoncelle dompté qui frôle le lyrisme sans y succomber. Fantaisie s’avère plus romantique, mais sans trop de violence, tandis qu’En caïques (la caïque est une petite embarcation de pêche du Proche-Orient) offre une grâce échevelée typiquement française qui mêle Debussy à Poulenc.

Fidèle à un héritage romantique sous son vrai nom ou sous le pseudonyme de Pierre Valette, Jane Vieu (1871-1955) est encore loin de sortir de l’oubli, à la différence de son aînée Cécile Chaminade [lire notre critique du CD]. Et ce n’est pas Vers le rêve qui prêchera en sa faveur, tant la pièce semble anecdotique et salonarde, romance fondée sur les arpèges de l’accompagnement et une mélodie qui s’étouffe en bavardage.

En comparaison, le Lied romantique de Déodat de Séverac (1872-1921) [photo] n’échappe pas à la rengaine, mais on y respire : le violoncelle a plus d’ampleur et le piano quelques silences, si minimes soient-ils. Les surprises n’y manquent pas, avec des pizz’ d’un côté, des trilles de l’autre qui dynamisent l’ensemble. Agréable est aussi la sardane Minyoneta, avec ses touches martelées et ses cordes contrastées (à l’origine, celles du violon), sous-titrée Souvenir de Figueras (ville du nord de la Catalogne).

Défenseur de la cause occitane en réaction à la centralisation culturelle – comme nous le rappelle Catherine Buser Picard dans une biographie du compositeur [lire notre critique de l’ouvrage] –, l’élève de D’Indy et Magnard a écrit les suites pianistiques En Languedoc (créé par Viñes en 1905) et Cerdaña (créé par Selva en 1911), de part et d’autre du retour au pays natal. Pour faire honneur à un cycle sans pittoresque ni folklore, David Bismuth joue Coin de cimetière au printemps sans afféterie ni rubato. Sa délicatesse virile honore cette page pleine de suspens et de vibrations, de même qu’elle exalte des climats changeants dans Les muletiers devant le Christ de Llivia (ville espagnole située en Cerdagne, dans la partie orientale des Pyrénées).

Après cette complainte paysanne, difficile d’entrer dans l’atmosphère onirique d’Entre parenthèses, pièce certes virtuose mais agaçante de Bruno Mantovani (né en 1974), ancien élève du conservatoire de Perpignan. C’est heureusement l’heure de la sonate de Debussy annoncée plus haut, amorcée dans un mélange de recueillement et d’expressivité par les deux instrumentistes. Chaudement salués par une salle moins fréquentée que les années précédentes, les artistes offrent un bis des plus moelleux : Après un rêve, célèbre morceau signé Fauré.

LB