Chroniques

par vincent guillemin

Daphne | Daphné
opéra de Richard Strauss

Semperoper, Dresde
- 15 novembre 2014
Daphné (Strauss) assimilé par Torsten Fischer au drame de Sophie Scholl
© matthias creutziger

Aujourd’hui présenté dans le cadre des Richard Strauss Tage de la Semperoper, Daphne fut créé dans cette salle en 1938, par Karl Böhm (l’œuvre était alors couplée à Friedenstag, découvert quelques mois plus tôt à Munich). Inspiré au librettiste Joseph Gregor par la toile de Chassériau Apollon et Daphné, l’argument devait à l’origine opposer l’univers du Dieu de la musique et du soleil à celui de la fête et du théâtre, Dionysos. L’histoire est simple : Leucippe est attiré par Daphné qui l’aime en retour, mais Apollon jaloux, victime de la flèche d’or que lui décocha Cupidon par vengeance, tue son rival dans l’espoir de gagner la belle ; celle-ci se refuse, jurant fidélité à son amant perdu. Apollon se sentant redevable lui promet alors l’éternité en la transformant en laurier.

Dans son premier état (1935), le livret ne plait guère à Richard Strauss. Il l’envoie à Stefan Zweig pour retouche. Le romancier supprime le rôle de Zeus, le ballet et le chœur final. Pourtant, le metteur en scène Torsten Fischer semble avoir gardé la proposition de Gregor, et remonter même aux origines du mythe et au récit d’Ovide, avec sa transposition dans l’Allemagne nazie. Incertaine, cette lecture manque d’aboutissement pour convaincre totalement, mais elle a le mérite d’interroger le personnage et son histoire. Par le biais des costumes d’Andreas Janczyk, l’héroïne devient la résistante Sophie Scholl, arrêtée et guillotinée pour son appartenance au réseau Die weiße Rose en 1943 [lire notre chronique du 29 janvier 2013]. En face, l’Apollon excellemment joué par Lance Ryan est le chef de la Gestapo ; il maltraite la population, égorge Leucippe, enfin abat le peuple qui s’éloigne en formant un gigantesque laurier vivant, projeté vers le spectateur par le procédé usé d’un grand miroir incliné. D’abord lié à Daphné par l’effet d’un voile blanc utilisé tout au long de la représentation, Leucippe revient plus tard la tête entourée d’un voile noir, présageant sa mort – et celle des nombreux soldats sacrifiés à Stalingrad où combattit l’amant de Sophie.

Le décor d’Herbert Schäfer manque de précision pour accompagner la transcription. Il consiste d’abord en une surélévation (à environ un mètre du sol) d’une partie du plateau, longtemps nu. Il est plus tard surplombé par un étincelant soleil orange, avant d’être rabaissé pour laisser entrer un large escalier sur lequel est peinte une représentation grecque, derrière laquelle le chœur s’allongera à la scène finale.

Bon acteur, Lance Ryan est aussi chanteur, bien qu’il ait fortement abîmé sa voix depuis 2012. Le timbre est plein d’aigreur et beaucoup de phrases ne flattent pas l’oreille, mais la majorité des notes si complexes du rôle y sont et les aigus, lancés avec vaillance, frappent juste. Le Leukippos de Ladislav Elgr ne suffit pas à rendre passionnante la partie du second ténor, d’autant que sa diction limite la compréhension du texte. Quelque peu engorgée, la voix accuse un style linéaire assez terne. La Gaea de Christa Mayer convainc plus et, comme souvent, montre le haut niveaudes artistes en troupe outre-Rhin. Une fois de plus, Georg Zeppenfeld (Peneios) affirme ses qualités d’acteur et de basse par la présence, le timbre chaud et la tenue de la ligne. Également issue de la troupe saxonne où depuis plusieurs saisons elle est une très belle Senta, Marjorie Owens n’a pas tout à fait l’ampleur et le charisme nécessaires pour incarner une grande Daphne, sans démériter pour autant. La voix vibre au début et s’amenuise ensuite en laissant planer le doute sur ses possibilités, mais se réveille dans la dernière demi-heure, jusqu’à développer une richesse de couleurs et une endurance de haut niveau. Le Sächsischen Staatsopernchor et les seconds rôles sortent avec les honneurs, bien préparés à cette reprise.

Dans la fosse, la Staatskapelle Dresden reste l’atout majeur de la soirée. Malgré la reconstruction de la salle après la destruction de la ville en 1945, cette formation possède toujours un son diaphane unique au monde, particulièrement adapté à la musique de Strauss. Elle en magnifie chaque mesure et soutient l’action pendant près d’une heure trente, très bien dirigée par l’attentif et lyrique Omer Meir Wellber. « Was blendet so ? War es die Sonne, nein, es war nicht die Sonne… Es war der Blitz ! » (Qu’est-ce qui apparaît? Etait-ce le soleil, non, ce n’était pas le soleil...c’était l’éclair !).

VG