Chroniques

par bertrand bolognesi

cycle Boulez de l’Orchestre de Paris
Messiaen, Stravinsky, Webern et Boulez par lui-même

Salle Pleyel, Paris
- 28 novembre 2007
le compositeur et chef français Pierre Boulez (né en 1925)
© dr

S’ouvre ce soir un vaste cycle dédié par l’Orchestre de Paris à Pierre Boulez. Outre ce concert dirigé par le maître, la formation honorera son sujet une quinzaine de jours durant, avec trois autres rendez-vous dont deux croisant l’Ensemble Intercontemporain. Ainsi Christoph Eschenbach jouera-t-il Trois improvisations sur Mallarmé (5 décembre), Rituel in memoriam Bruno Maderna (le 12), Dérive 1, Messagesquisse et Mémoriale (le 16), mais également l’Opus 5 de Webern, les Trois mouvements de la Suite lyrique de Berg et la création mondiale d’une commande faite à Augusta Read Thomas (nous en reparlerons).

Parallèlement, la Cité de la musique présente un programme Du spirituel dans l’art autour du compositeur, un parcours (dont le concert des finalistes du concours Messiaen) qui fait dialoguer sa musique avec celles de maîtres du passé, tels Bach et Monteverdi, comme le fit autrefois Boulez lui-même au Domaine musical (extraits de L’Offrande Musicale de Bach dès le premier concert, le 13 janvier 1954) et ailleurs (Sixième Brandebourgeois à Baden Baden en 1960, Symphonie en la majeur K201 n°29 de Mozart à La Haye en 1962, Symphonie en mi majeur D729 n°7 de Schubert à Rotterdam en 1965, Concerts de Rameau à New York la même année, Water Music de Händel à Cleveland en 1967, etc.).

C’est par l’Opus 1 d’Anton von Webern que Boulez introduit l’événement, une Passacaille qui lui est familière et qu’il commence dans une lenteur, à juste titre, funèbre peu à peu investie par un lyrisme sobre. On retrouve ici le tragique avec lequel le chef donnait l’Opus 6 à Aix, cet été [lire notre chronique du 7 juillet].

En 1960, Hans Rosbaud dirigeait la création de Chronochromie d’Olivier Messiaenà Donaueschingen. Directeur de la musique de scène pour la Compagnie Renaud-Barrault à vingt ans, lancé dans l’aventure des concerts du Domaine Musical en 1953, Pierre Boulez est contraint de prendre lui-même le pupitre en 1956. En 1959, c’est précisément Hans Rosbaud qui lui offre l’opportunité d’affirmer son talent de chef, lui demandant de le remplacer à Aix dans un programme Berg, Hindemith, Pousseur, Webern que des problèmes de santé ne lui permettaient pas d’assurer. De là est née, avec la complicité d’Heinrich Strobel, la carrière d’abord outre-rhénane de Boulez chef d’orchestre.

Si, lorsqu’il dirigea Chronochromie à l’Opéra Bastille, il y a trois ans, et ce soir même, Boulez obtient un certain succès, il n’en fut pas toujours de même. On se souviendra, entre autre, d’un concert d’octobre 1992 où, jouée par l’Orchestre de Paris en seconde partie, l’œuvre fut boudée ici même par une grande partie du public partie à l’entracte, juste après le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg… L’exécution d’aujourd’hui est leste comme rarement, ciselant un équilibre fragile dans une volière d’études rythmiques qu’il faut bien avouer confuse.

Comme de nombreuses œuvres de Boulez, Le soleil des eaux fut retravaillé à plusieurs reprises. Créée par l’ORTF en avril 1948 dans sa première version, la pièce connaît dès juillet 1950 une nouvelle mouture pour soprano, ténor, basse et orchestre de chambre que crée Roger Desormière à la tête de l’Orchestre National de France, avenue Montaigne. Huit ans plus tard, le compositeur revient au grand orchestre auquel il ajoute un chœur mixte (à l’exclusion du registre alto). La première de la nouvelle partition est donnée par Ernest Bour à Darmstadt en septembre 1958. Enfin, l’auteur dirige lui-même la version définitive à l’automne 1965, à Berlin, conçue pour soprano, chœur et orchestre. L’on en goûte ce soir une interprétation d’une exemplaire clarté, tant grâce aux forces d’Accentus, efficacement préparées par Laurence Equilbey et Nicolas Krüger, qu’au soprano Elizabeth Atherton dont le timbre jouit d’un impact évident. Non seulement une diction remarquable rend perceptible la langue de Char, mais un phrasé judicieux révèle l’intelligence poétique de Boulez.

La seconde partie de la soirée est entièrement consacrée au Stravinsky slavophile. L’on y entend les Quatre chants paysans russes dans leur version pour chœur féminin a cappella. Et surtout Les noces, dans la version de 1923 qui soutient ses quatre solistes et son chœur à l’aide de quatre pianos et de percussions. Cette cantate chorégraphique réputée difficile reste peu jouée : on se réjouira d’autant plus de pouvoir l’apprécier ce soir, sachant qu’elle sera donnée également le 9 décembre à Montpellier, ainsi qu’à Nancy, dès le 14 (dans plusieurs versions, tant pour la musique que pour la danse). Outre qu’il l’enregistra dès 1965 (chantée en français), Pierre Boulez s’intéressa tant à cette partition qu’elle féconderait bien plus tard l’instrumentarium de Sur Incises (1996-1998). L’articulation s’avère énergique autant que précise. Si la couleur vocale d’Hilary Summers (contralto) paraît terne dans ce répertoire, si Tigran Martirossian (basse) accuse quelques soucis de justesse, l’on apprécie l’expressive efficacité du ténor Arnold Bezuyen et, surtout, l’agilité indicible du soprano Catrin Wyn-Davies.

Coup d’envoi parfaitement réussi, donc, pour un cycle qui promet !

BB