Chroniques

par gilles charlassier

créations des élèves de l’académie Voix Nouvelles
par Juliet Fraser, le Quatuor Tana et l’ensemble Multilatérale

Abbaye de Royaumont
- 9 et 10 septembre 2017
le contrebassiste Nicolas Crosse, lors des concerts Voix Nouvelles à Royaumont
© dr

Depuis près de trente-cinq, Voix Nouvelles offre l'opportunité à des jeunes compositeurs – et également des interprètes, depuis que Jean-Philippe Wurtz en a repris la direction en 2016 – de recevoir les conseils de leurs aînés, au cours d'une résidence de fin de l'été, dont le public découvre le résultat au cours de deux concerts début septembre, donnés en la salle des Charpentes de l'abbaye. Ce sont ainsi, respectivement samedi et dimanche, six et sept musiciens, venus des quatre coins de la planète plutôt que des limites de la France métropolitaine, qui, par l'intermédiaire de l'ensemble Multilatérale et du Quatuor Tana, livrent le fruit de leurs recherches, accompagnés cette année par Philippe Leroux, Mark Andre et Alex Mincek. Si l'intention n'est pas d'influencer les étudiants, la physionomie de la promotion ne peut cependant rester insensible aux orientations esthétiques des maîtres sollicités. Souvent en quête des marges du geste instrumental, sinon de la matière brute, les treize pièces du programme ne le démentiront pas.

L'Israélienne Sivan Eldar ouvre les réjouissances avec une vignette sonore, Any bed but one's, qui, sur fond de percussions feutrées, juxtapose les murmures du violon et un texte dont Juliet Fraser retient la ligne de chant jusqu'à la confondre avec celle de la parole. Cet effleurement de l'intime et du fragile, prévenant pour l'oreille, ne développe guère l'idée au delà du tableau acoustique. Un relatif statisme finit également par affleurer dans Glass : Shattered, Shattering du Taïwanais Shih-Wei Lo. Installant la flûte et le violoncelle dans un original face-à-face tournant le dos à l'auditoire, le dialogue initie une habile bulle dialectique jouant d'effets d'imitations, dont on tirerait volontiers davantage de conséquences. Dans Attics pour soprano et alto, le Turc Hakki Cengiz Eren favorise une continuité instrumentale et tire parti du polyglottisme des diverses sources textuelles pour renforcer la théâtralité d'une page faisant vaguement barboter ses racines dans l'inénarrable Sequenza n°3 de Berio.

L'intérêt essentiel de Radius, que l'Australienne Annie Hui-Hsin Hsieh a imaginé pour le piano, réside dans la cotonneuse négation de l'idiosyncrasie de l'instrument à cordes frappées, pincées ou frottées, dans une transsubstantiation – ici vers la harpe, là plus proche de la guitare – dont Claudia Chen exsude l'austère poésie matérielle. Laugh radish, le quatuor de Jonah Haven, Étasunien de vingt-deux ans, choisit une (relative) transgression percussive aux contrastes fort bienséants, si on les compare à la frénésie déchaînée par la Biélorusse Tatiana Gerasimenok. La scénographie de Bohemian algae ne laisse aucun doute : la salle est plongée dans la pénombre, tandis qu'on arrange les pupitres ; surgissent trois solistes (soprano, clarinette et contrebasse) revêtus d'un bruyant tablier d'aluminium, qui, emportés dans leur délire, ne se frottent qu'anecdotiquement à leur instrument. Défiant tout économie dans l'effet, l'expérience, aux allures rituelles et à l'évidente empreinte slave et orthodoxe dans la démesure que d'aucuns rapprocheraient de Kourliandski, procure une jouissance tragicomique qui recouvre un propos vraisemblablement succinct.

Dimanche, les créations pour ensemble prennent le relais.
Du Canadien William Kuo, Regulation pour soprano et sextet esquisse un paysage disparate dont il récolte les flatulences assourdies. Le résultat ne manque pas d'un pittoresque réservé, à l'exemple de subtiles touches de harpes, sans pour autant constituer un véritable texte musical. Fragment for division of the plane, du Nord-Américain Alex Stephenson, ne saurait mieux annoncer son genre. Le carburant sonore se nourrit d'un verre à pied (glassharmonica), d'une clarinette prolongée par un tuyau plongé dans un seau d'eau, d'éclats de harpe, piano, percussions ou contrebasse. Cependant, cet astucieux négatif musical souffre peut-être de l'académisme formel du concert pour libérer ses potentialités par-delà l'anecdote.

Vocalise du Britannique Daniel Lee Chappell, pour soprano et quatuor, amorce une inflexion du programme : fondant le murmure de la voix sur des attaques de cordes qui répètent un peu trop la rupture sérielle, la partition élabore un discours, à défaut de manifester une réelle personnalité. Dans Office Park, Matthew Chamberlain (natif des États-Unis et également chef d'orchestre) développe la texture d'une séquence harmonique à partir d'accords de septième, jusqu'à faire apparaître dans cette anfractuosité le souvenir d'un adagio tonal figé comme dans un tableau mélodique, à la manière impressionniste ou pointilliste. La simplicité intelligible du procédé séduit, sans garantir néanmoins autant de promesses que d'achèvements. Avec An account of imaginary or real people and events, le Néerlandais Boris Bezemer invite à un panorama où l'ailleurs se teinte de chaleureuses modalités, dans de généreux tutti, alternant avec des épisodes plus éthérés. L'auditeur ne peut rester insensible, quand bien même la manière dont on recourt à la tonalité n'évite pas une certaine naïveté.

Il y a indéniablement davantage de réflexion sur la composante harmonique dans Cleaning the temple de Shiuan Chang, originaire de Taïwan. L'expérimentation des jeux d'archet sur le souffle se fait plongée dans la chambre noire du quatuor à cordes, comme une exploration photographique des marges où le son devient musique. Enfin, le bref sextet du Chilien Fernando Munizaga, Ondas Primarias, démontre une belle imagination dans la distribution percussive de motif passant d'un pupitre à l'autre. Loin de s'en tenir à un laboratoire dédié à un seul paramètre, comme la plupart de ses condisciples, l’auteur investit toutes les dimensions de l'écriture musicale. Il ne reste plus qu'à élargir cette première cellule réussie.

GC