Chroniques

par bruno serrou

création de Trois cantates de Gérard Pesson
concert d’ouverture du festival

Agora / Centre Pompidou, Paris
- 7 juin 2010
© astrid karger | éditions henry lemoine

La seconde partie de soirée d’ouverture d’Agora - en fait, le premier concert du festival - s’enchaînait immédiatement après le happening de Sarkis [lire notre chronique]. Le programme monographique était consacré à un triptyque de cantates nouvelles, Cantate égale pays, de Gérard Pesson initié par l’Ircam et Ars Musica de Bruxelles. La musique de ce compositeur de cinquante-deux ans n’incite guère à l’exaltation. Bien au contraire, elle est toute d’intériorité, de retenue, de self-control, et incite aux conjectures : textes abscons, nuances n'allant pas au-delà du pianissimo, délicatesse du jeu, complexité de l’écoute... Cette musique est si déroutante, raffinée, subtile, secrète, diffuse, hermétique qu’elle confine à l’ascèse. Elle est d’autant plus délicate à exécuter sans chef, comme c’est le cas dans ce triptyque, et l’on sort de cette heure de musique insolite très admiratif de ses interprètes, les ensembles britannique Exaudi et ses six chanteurs, et français L’Instant Donné et ses neuf instrumentistes, tous spatialisés sur un plateau-damier bien mis en lumière par Daniel Levy en fonction de chaque cantate dont les effectifs sont distincts.

L’absence de direction est le fait d’un choix partagé du compositeur et des musiciens qui ont tenu à ce que rien ne s’interpose entre le public et les interprètes. La fragilité du discours musical est l’assise même de l’exécution, d’autant que les structures rythmiques, d’une extrême complexité, exigent des musiciens l’attention la plus extrême au geste de leurs comparses. Autre particularité, l’ensemble est amplifié pupitre par pupitre pour éviter tout hiatus sonore entre les instruments acoustiques et les chanteurs, et le recours quai immatériel à l’électronique - ici une hyper basse quasi continue, ailleurs l’évocation de sons de la nature, chants d'oiseaux, aboiement de chien, bruissements d’eau et de vent, bruits initiés par l’Homme comme le passage d’un train, le décollage d’un avion...

Dans ces trois cantates composées sur d’impénétrables poèmes de Mathieu Nuss, Gerard Manley Hopkins et Elena Andreyev, tout est discrétion, jusque la spatialisation, malgré l’amplification qui souligne la situation effective de chacun des artistes présents sur le plateau. Sur de rapides pulsations porteuses de souffle et de crissements, Pesson élabore de singuliers édifices immatériels qui doivent beaucoup à l’extraordinaire précision de ses interprètes créateurs.

BS